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Secteur privé et transversalité du genre dans les Objectifs de Développement Durable
Publié le
Pascale Bracq Co-fondatrice et vice-présidente ONU Femmes France


Secteur Privé & Développement #33 - Mobiliser le secteur privé pour réduire les inégalités de genre
Malgré une prise de conscience accentuée et les avancées réalisées, les femmes demeurent confrontées à une multitude d’inégalités. Le 33ème numéro de la revue Secteur Privé & Développement, paru en février 2020, s’intéresse au rôle du secteur privé pour réduire les inégalités de genre.
Dans l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD) d’ici 2030, les politiques publiques des États signataires ont été placées au cœur du dispositif. Mais le secteur privé y a un rôle indéniable à jouer.
Adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies de septembre 2015, le Programme de Développement Durable à l’horizon 2030 est un accord historique négocié et approuvé par la majorité des États membres des Nations Unies. Décliné en 17 Objectifs de Développement Durable (ODD), 169 cibles et 232 indicateurs, il aborde les dimensions économique, sociale, environnementale et politique du développement durable de manière exhaustive et intégrée pour atteindre une planète soutenable en 2030. Tous les États doivent répondre à cet agenda global, en respectant des cibles et en remplissant des indicateurs pour chacun des ODD.
EGALITÉ DES SEXES ET AUTONOMISATION DES FEMMES ET DES FILLES, CONSACRÉES PAR L’ODD N°5
Parmi ces 17 objectifs, le cinquième est explicitement consacré à l’égalité des sexes. Dès 1995, la 4e Conférence mondiale sur les Femmes avait consacré, dans la Plate-forme d’actions de Pékin, la nécessité d’une approche transversale du genre pour garantir la pleine autonomie des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes. Le programme d’action contenu dans la Déclaration de Pékin, signée par 189 des 193 États membres de l’ONU, prévoyait ainsi une approche intégrée et transversale via des objectifs spécifiques. Ces objectifs portés par les politiques publiques concernaient tous les secteurs de la société et étaient conçus dans une perspective égalitaire et concrète, à appliquer à tous les niveaux. Cette transversalité du genre, déclinée dès l’année 2000 dans les Objectifs du Millénaire (OMD), est naturellement reprise et ainsi renforcée par les ODD qui leur ont succédé. Parmi les différentes agences onusiennes en charge du déploiement et du suivi des ODD selon leur orientation, ONU Femmes, agence des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, se consacre au suivi de l’ODD numéro 5. Ce dernier permet d’encadrer et de suivre les efforts nationaux alloués, notamment, à la lutte contre les violences faites aux femmes, à la promotion de l’égalité professionnelle, à l’accès des femmes aux postes à responsabilités ou à l’amélioration des dispositifs permettant une santé sexuelle et reproductive maîtrisée. La transversalisation du genre est désormais inscrite dans 54 indicateurs sexospécifiques selon les cibles des 16 autres ODD. Par ailleurs, ONU Femmes a également proposé une feuille de route spécifique aux États pour l’inscription du genre dans leurs politiques publiques1.
QU’EN EST-IL DU SECTEUR PRIVÉ ?
Une autre finalité des Objectifs de Développement Durable est d’offrir aux différents acteurs de la société, privés comme publics, un référentiel commun pour des actions convergentes dans la réalisation des ODD. Ainsi, de nombreux acteurs économiques privés les ont adoptés en les intégrant dans leur stratégie, leurs actions et leur communication. Pour autant, la vision transversale du genre est-elle prise en compte à la mesure de son importance et de l’effet de levier qu’elle peut constituer dans la réalisation de la plupart des ODD ? La réalisation du cinquième ODD fournit des cibles clairement définies pour le secteur privé. L’indicateur 5.1.1 suit ainsi les progrès de l’accès des femmes à l’emploi et aux avantages économiques ; le 5.2, qui concerne les violences, recouvre aussi celles exercées dans l’environnement professionnel ; le 5.5 traite de la sous-représentation des femmes aux postes de direction ; le 5.a vise à donner accès aux femmes aux mêmes droits économiques ; et enfin le 5.b veut leur rendre accessibles les nouvelles technologies. Autant d’orientations et de préoccupations qui constituent aujourd’hui, en particulier pour les entreprises, des axes d’action tant pour leur stratégie interne (recrutement de femmes et développement de leur carrière, notamment dans des secteurs critiques confrontés à un manque de main-d’œuvre) que pour des actions dans leur zone d’influence (relation avec leurs sous-traitant(e)s, leurs client(e)s, etc.). En revanche, les entreprises concernées ont-elles perçu pour l’ODD numéro 7, qui concerne l’accès à une énergie propre et à un coût abordable, que les femmes étaient fortement impactées par l’usage de combustibles polluants ? Outre les effets délétères de la pollution de l’air intérieure sur leur santé, une étude menée par 22 pays africains estime que les femmes et les filles passent en moyenne deux heures par jour à ramasser du combustible. Une tâche pénible qui les expose aux risques de se blesser, d’être agressées physiquement et sexuellement ou attaquées par des animaux (serpents, etc.), et qui empiète sur le temps d’éducation, de travail ou de loisirs.
Quant à l’ODD numéro 11 sur les filles et les communautés durables, il serait nécessaire de créer des espaces publics plus sûrs, ce qui permettrait de limiter le harcèlement et les autres formes de violences sexuelles subies actuellement par les femmes dans les espaces publics, la rue, les transports, les toilettes publiques, les points de collecte d’eau et de nourriture ou encore les parcs. Pour l’ODD numéro 13, sur l’adaptation au changement climatique, alors qu’un quart des femmes économiquement actives dans le monde travaillent dans l’agriculture, des projections2 indiquent que d’ici à 2050 les changements climatiques auront réduit la production de riz, de blé et de maïs. Un grand nombre d’ouvrières agricoles est déjà confronté à de très profondes inégalités dans leur accès aux terres, au crédit et aux intrants indispensables (engrais, irrigation, technologie, information et marchés). Raisons pour lesquelles elles ont généralement un moindre accès aux pratiques d’atténuation et d’adaptation aux effets des changements climatiques supposant le recours aux avancées techniques en matière de variétés qui résistent à la chaleur et conservent l’eau. Autant de caractéristiques qui peuvent compromettre l’alimentation de leurs communautés mais aussi, d’une façon plus globale, le développement de pratiques susceptibles de lutter contre les effets du changement climatique.
Il est intéressant de noter que selon la Banque mondiale, les emplois « verts » dans l’agriculture, l’industrie, les services et l’administration contribuent à la préservation de la biodiversité ainsi qu’à la réduction de la consommation d’énergie, des émissions de CO2, des déchets et de toutes les formes de pollution. Au moins 80 % de ces emplois verts devraient voir le jour dans des secteurs où les femmes sont actuellement sous-représentées. C’est donc un enjeu majeur à la fois en matière de forces vives et d’égalité d’accès au travail. L’impact sur les femmes, ou produit par elles, se limite rarement à un seul ODD et se décline souvent sur plusieurs objectifs simultanément. Certains programmes de développement orientés vers les femmes peuvent ainsi concerner jusqu’à 14 objectifs. Pour ses propres programmes phares, ONU Femmes a d’ailleurs décliné une sous-matrice des ODD qui met en évidence les différents objectifs impactés par chacun de ces programmes.
ET QUE DIRE DE LA FINANCE ?
De nombreuses études montrent que les projets confiés aux femmes ont des performances meilleures et plus durables3. Transposer ces observations en termes financiers permet de mettre en évidence l’existence de l’effet de levier potentiel d’investissements ciblés vers les femmes (entrepreneuriat, féminisation de la gouvernance d’entreprises, formations scientifiques et technologiques, etc.). La question est alors posée de l’amplification et de l’accélération de la réalisation des ODD pour 2030 par un ciblage accru, à la fois des programmes et des financements, vers des projets portés par des femmes. Comme cela a été le cas pour le financement de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique au moment des Accords de Paris, de nouveaux outils financiers doivent être créés pour réorienter les investissements pour l’autonomisation des femmes au sens le plus large, telle que portée par l’ensemble des ODD. Pour que cette nouvelle dynamique puisse s’enclencher, il convient de déterminer les données qui éclairent le mieux les normes et les indices de performance axés sur l’égalité entre les sexes et de concevoir des produits financiers qui renforcent la preuve que l’investissement sexospécifique produit des rendements financiers et sociaux positifs, accélérant ainsi la mise en œuvre des ODD ; travail que mène actuellement ONU Femmes en collaboration avec des acteurs de la finance (agrégateurs de données, gérants et détenteurs d’actifs, etc.).
CONCLUSION
On le voit, le rôle du secteur privé est considérable pour l’atteinte des ODD en général, et pour la réduction des inégalités de genre et l’autonomisation des femmes en particulier. L’année 2020 verra se tenir à Paris la 5e Conférence mondiale pour les Femmes. Ce forum « Génération Égalité », événement historique, sera organisé par ONU Femmes, les gouvernements français et mexicain. Ce sera l’occasion de faire un bilan de l’avancée des droits des femmes 25 ans après la Conférence de Pékin, avec les États, la société civile et le secteur privé ; occasion également de renforcer collectivement, à travers des coalitions d’actions, la dynamique de la transversalité du genre, à 10 ans de l’échéance du programme en 2030.
1 Dans le rapport « Traduire les promesses en actions : l’égalité des sexes dans le programme de développement durable à l’horizon 2030 ». Disponible ici : http://bit.ly/39LxACR
2 Estimations de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Disponibles ici : http://bit.ly/39N54Ru
3 Par exemple, l’étude de la Banque mondiale « Les femmes, l’entreprise et le droit », disponible ici : http://bit.ly/39Opj12