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Soutenir les industries culturelles et créatives : entretien avec Annica Floren, Commission européenne, et Manal Tabet, Proparco
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À l’heure où l’Afrique, les Caraïbes et le Pacifique regorgent de talents créatifs mais peinent à accéder au financement, l’Union européenne et Proparco s’allient pour relever ce défi avec le programme CREATIFI. Dans cette interview croisée, Annica Floren (Commission européenne) et Manal Tabet (Proparco) détaillent comment ces nouveaux instruments financiers entendent transformer le paysage des industries culturelles et créatives (ICC) en Afrique subsaharienne.
Entre garanties innovantes, assistance technique et synergies avec la stratégie Global Gateway, Annica Floren, directrice adjointe de l’unité Jeunesse, éducation et recherche, culture à la Commission européenne, et Manal Tabet, responsable adjointe de la division Accompagnement technique et mixage des ressources à Proparco, dévoilent les ambitions d’un dispositif pensé pour stimuler l’investissement, soutenir l’emploi et catalyser une croissance inclusive au sein d’un secteur en pleine effervescence.
Pourriez-vous expliquer en quoi le programme CREATIFI, et en particulier la facilité CREA Fund, gérée par Proparco, s’aligne avec la stratégie Global Gateway de l’Union européenne ? Et comment complète-t-il les autres initiatives culturelles financées par l’UE en Afrique subsaharienne ?
Annica Floren : La stratégie Global Gateway de l’UE soutient le développement durable en bâtissant des partenariats solides à l’échelle mondiale. Grâce à la créativité, la technologie et la durabilité, les industries culturelles et créatives (ICC) jouent un rôle majeur dans cette mission, elles contribuent à la création d’emplois, stimulent l’innovation et ouvrent de nouveaux marchés.
Le programme CREATIFI (20 M€) s’inscrit dans cette dynamique en améliorant l’accès au financement pour les petites entreprises et projets créatifs en Afrique, dans les Caraïbes et le Pacifique. Il renforce les systèmes financiers locaux et aide les ICC à se développer et à se connecter aux investisseurs. CREATIFI fonctionne en synergie avec d'autres initiatives de l’UE (75 M€ au total), telles que les Partenariats Afrique-Europe pour la culture et les nouveaux soutiens au secteur de l’audiovisuel, créant ainsi des opportunités passionnantes de collaboration et de croissance entre les continents.
Comment le modèle d’instrument financier de CREATIFI permet-il de répondre au sous-financement historique du secteur des ICC en Afrique ?
Annica Floren : Investir dans le secteur créatif en Afrique n'est pas chose aisée. De nombreuses institutions financières en maîtrisent mal les spécificités, et les entrepreneurs du secteur créatif sont souvent confrontés à un manque de compétences managériales et commerciales. C'est précisément là qu'intervient le programme CREATIFI. Il contribue à combler ce fossé en proposant un soutien sur mesure, des formations en gestion d'entreprise et des garanties visant à réduire le risque pour attirer les investisseurs locaux comme internationaux.
Articulé autour de trois axes d'intervention mis en œuvre par nos partenaires qui partagent notre vision – Proparco, la Banque Africaine de Développement et la Banque Mondiale –, CREATIFI renforce l'accès au financement, aux compétences et aux marchés pour les industries culturelles et créatives de toute la région. Il s'agit d'une approche sur mesure, conçue pour libérer un véritable potentiel de croissance et d'investissement au sein de l'économie créative africaine.
Comment cela s’articule-t-il avec l’objectif de CREATIFI de développer des instruments financiers évolutifs pour les ICC ?
Manal Tabet : Avec des mécanismes tels que CREATIFI, qui nous permettent de combiner investissements, garanties et subventions, il est possible de diversifier et d'élargir le portefeuille d'instruments de soutien de Proparco afin de renforcer le rôle du secteur privé comme accélérateur des transitions. Par exemple, les garanties de l'UE nous permettent d'encourager les investissements dans des entreprises qui rencontrent généralement des défis importants pour lever des fonds, que ce soit en raison de leur taille, de leur orientation géographique, de leur secteur ou de leur modèle économique non traditionnel, comme c'est souvent le cas dans les industries culturelles et créatives.
Des projets à fort potentiel d'impact, tels que la facilité CREA Fund, illustrent parfaitement la pertinence des mécanismes de financement mixte (blending) et, par conséquent, des partenariats entre des institutions comme Proparco et l'UE : ils apportent une "additionnalité" accrue et amplifient l'impact du financement privé en soutenant des secteurs qui génèrent de vastes retombées sociales et économiques.
Pourriez-vous détailler le fonctionnement du fonds CREA : garanties de réduction des risques et composante d’assistance technique ?
Manal Tabet : La facilité CREA Fund, pour Creative Enterprise Action Fund, est une initiative pilote mise en œuvre par Proparco. Elle vise à sensibiliser les institutions financières en Afrique subsaharienne et dans les Caraïbes au potentiel des entreprises culturelles et créatives, en tant qu’activités économiques nécessitant un financement, mais aussi en tant que secteur à fort impact positif. En améliorant l’accès au financement pour les industries culturelles, le dispositif CREA Fund favorisera la croissance des PME, souvent basées sur des actifs immatériels et des modèles d’affaires non conventionnels, mais qui jouent un rôle essentiel dans la cohésion sociale, la diffusion des savoirs et de la culture, le développement local et la création d’emplois, en particulier pour les femmes et les jeunes.
Le dispositif CREA Fund est composé de :
- Une garantie de 5 millions d’euros, destinée à couvrir les investissements que des institutions financières (principalement des fonds d’investissement), clientes de Proparco ;
- Une assistance technique dotée d’un budget de 1,47 million d’euros, destinée à accompagner les intermédiaires financiers dans leur compréhension des spécificités des ICC (notamment via des études de marché, des sessions de formation ou l’accès à une expertise sectorielle) et/ou à soutenir la croissance des entreprises qu’ils souhaitent financer.
Ces deux instruments sont conçus pour agir de façon complémentaire afin de lever les freins au financement dans le secteur des industries culturelles et créatives.
La composante d’assistance technique inclut des études de marché et le renforcement des capacités. Comment adaptez-vous ces services pour combler l’écart entre la perception du risque des institutions financières et le besoin de capitaux patients des industries culturelles et créatives (ICC) ?
Manal Tabet : La première phase du projet nous a permis d’établir un premier catalogue d’activités potentielles de renforcement des capacités. Ce catalogue, élaboré à partir des résultats d’une enquête auprès de nos clients, reflète les principaux besoins exprimés par la communauté des investisseurs pour envisager des investissements dans les entreprises des ICC. Bien qu’il ne soit pas exhaustif, il offre une première feuille de route des activités potentiellement utiles à nos clients et partenaires prospectifs dans les secteurs des ICC pour leurs portefeuilles – un accompagnement que nous sommes désormais prêts à proposer à nos clients.
Nous avons également mené des investigations afin de mieux comprendre les défis et contraintes actuels du financement des ICC, et de mettre en lumière des projets concrets qui ont été lancés avec succès – des investigations synthétisées dans deux études de marché accessibles à tous sur notre site internet (voir ci-dessous).
Quels autres leviers sont nécessaires pour attirer davantage d’institutions financières vers le marché des ICC en Afrique et dans les Caraïbes ?
Annica Floren : L’Afrique, les Caraïbes et le Pacifique (ACP) regorgent de talents créatifs, mais transformer ce potentiel en entreprises florissantes nécessite un accompagnement approprié. C’est pourquoi l’UE investit dans des outils destinés à réduire les risques pour les banques et les investisseurs, comme des mécanismes de garantie et des fonds sectoriels, tout en renforçant les partenariats public-privé. Le plus important d’entre eux, l’EFSD+ (Fonds européen pour le développement durable Plus, doté de 40 milliards d’euros), offre également un soutien aux petites entreprises, y compris dans les secteurs créatifs.
Pour soutenir la croissance des “créatifs”, l’UE mise sur la formation et l’assistance technique à travers CREATIFI, qui aide les entrepreneurs à développer des compétences en gestion et les banques à mieux comprendre les spécificités du secteur. Nous lançons également un nouveau programme de 15 M€ pour soutenir le cinéma, les jeux vidéo et la réalité virtuelle en Afrique subsaharienne, tout en renforçant le travail de plaidoyer à travers le dispositif d’experts UE-UNESCO, car des règles bien définies permettent à tous d’investir avec confiance.
Manal Tabet : La facilité CREA Fund s’inscrit dans l’offre plus large du Groupe AFD en faveur du secteur des ICC, qui comprend aussi le soutien aux politiques publiques, le développement d’infrastructures culturelles, la promotion de l’entrepreneuriat et le renforcement des compétences des professionnels du secteur. Avec le dispositif CREA Fund, Proparco apporte un nouvel outil au continuum de financement des ICC, visant à encourager les fonds de capital-investissement à considérer ces entreprises souvent informelles, de petite taille et en phase de démarrage, mais qui, grâce à l’adoption des technologies numériques, disposent d’un fort potentiel de croissance.
Les ICC en phase de démarrage sont également éligibles au soutien de la filiale de Proparco, Digital Africa, qui investit directement dans des startups innovantes, concentrant ses efforts sur des écosystèmes mal desservis par les investisseurs traditionnels. Par conséquent, la Facilité CREA Fund doit être considérée comme une nouvelle étape dans le renforcement de notre offre au secteur des ICC. C'est une force du Groupe AFD de pouvoir agir sur différents leviers qui contribuent à la transformation économique et sociale.