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Risque climatique et opportunités : comment Ecobank finance l’avenir de l’Afrique
Publié le
Rachael Antwi Head of Sustainability Ecobank
Secteur Privé & Développement - Business & Climat : de l'ambition à l'action
Proparco publie une édition hors-série de sa revue Secteur Privé & Développement, consacrée au rôle stratégique du secteur privé et des institutions financières face à l’urgence climatique.
La plupart des banques considèrent le climat comme un problème à gérer. Ecobank, elle, le perçoit comme une opportunité stratégique à saisir. Présente sur 35 marchés africains, Ecobank intègre les données climatiques dans chacune de ses décisions de crédit, dans ses évaluations et ses choix d’investissement. Le résultat : une nouvelle forme de banque, qui tire profit de la résilience, croît grâce à la durabilité et transforme les vulnérabilités climatiques de l’Afrique en atouts compétitifs.
Comment Ecobank intègre-t-elle le développement durable et la stratégie climatique dans son modèle économique ?
Nous réinvestissons fondamentalement la notion de durabilité, en la considérant non pas comme une simple obligation mais plutôt comme un levier stratégique qui structure notre évaluation des risques et le déploiement de nos capitaux à travers l’Afrique. Il ne s’agit pas pour nous de plaquer les considérations climatiques au secteur bancaire traditionnel – mais de redéfinir le fonctionnement même de la banque à la lumière de ces enjeux. Nous intégrons ainsi les risques climatiques dans chaque évaluation de crédit que nous réalisons.
Nos décisions de prêt les prennent donc pleinement en compte, garantissant une orientation du capital vers les secteurs et les projets les plus résilients. Notre infrastructure numérique nous permet d’analyser les transactions climatiques et de réaliser des évaluations de risques de manière automatisée, tout en offrant des produits financiers ajustés aux impératifs climatiques.
Au-delà de nos opérations internes, nous jouons un rôle de leadership régional à travers l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale, en soutenant les transactions de financement climatique à grande échelle et en mobilisant des capitaux en lien avec les objectifs de développement du continent. En fin de compte, nous repensons le fonctionnement des systèmes financiers en Afrique, en plaçant le climat au cœur d’une gestion des risques plus intelligente et en favorisant la création de nouvelles sources de valeur.
Comment Ecobank a-t-elle intégré cette redéfinition de la durabilité et de la stratégie climatique dans sa gouvernance d’entreprise ?
Nous avons intégré la responsabilité climatique directement dans notre structure de gouvernance, en commençant par le sommet. Un comité spécifique (Board’s Committee for Sustainability) se réunit tous les trimestres pour piloter les risques climatiques et la stratégie de durabilité. Aujourd’hui, 100% de nos transactions supérieures à 5millions de dollars sont analysées au regard de nos impératifs et de notre stratégie climatique.
Nous suivons la performance de nos actifs à travers des KPI (Key Performance Indicators) spécifiques, qui sont liés à l’évaluation des risques climatiques, à la performance en matière de durabilité et aux objectifs d’alignement du portefeuille, en particulier en termes de volume des financements de transition. Des tableaux de bord, passés en revue par la direction tous les mois, permettent un suivi en temps réel de ces indicateurs. Nous avons réduit les délais d’approbation des financements verts de 30 %.
Quelles méthodes concrètes Ecobank déploie-t-elle pour identifier, évaluer et atténuer les risques climatiques dans son portefeuille et ses opérations ?
Nous avons mis en place un cadre d’évaluation qui distingue les facteurs de risque climatiques à travers l’ensemble de notre portefeuille. Cela commence par un filtrage des transactions, incluant une notation des risques environnementaux et sociaux spécifiques aux secteurs concernés. Les analyses de scénarios climatiques sont désormais intégrées dans nos modèles de risque souverain et sectoriel.
Nous effectuons des tests de résistance préliminaires — scénarios de +1,5°C et +4°C — pour les secteurs de l’énergie et de l’agrofinance en Afrique de l’Ouest et Centrale, afin d’identifier les vulnérabilités liées aux réformes des subventions sur les carburants, à la tarification du carbone et aux cycles de sécheresse. Nos tableaux de bord et cartes thermiques permettent aux gestionnaires de risques et aux équipes commerciales de visualiser l’exposition et de suivre en temps réel les indicateurs d’alerte précoce.
En termes d’atténuation, nous associons les transactions à des résultats de durabilité qui reflètent l’exposition climatique des emprunteurs. Des opérations récentes réalisées au Ghana, par exemple, incluent des incitations tarifaires pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et pour soutenir des objectifs liés au genre, alignant ainsi le risque financier avec les critères d’impact. Cette approche intégrée nous permet de gérer proactivement les risques émergents, de réduire les pertes de crédit, tout en élargissant notre portefeuille de financement durable.
La voie Harambee : l’approche climatique d’Ecobank
La « voie Harambee » (Harambee Way) est la philosophie climatique d’Ecobank qui résume l’engagement du groupe à offrir une transition juste, inclusive et alignée sur les sciences à travers le continent africain. Elle repose sur trois piliers essentiels : l’intégration du risque climatique, la mobilisation du financement climatique et la gestion durable.
« La voie Harambee, c’est ainsi que nous abordons le climat – non seulement comme un risque à gérer ou un capital à déployer, mais comme un voyage commun », explique Rachael Antwi. « Nous intégrons la transition dans l’architecture du secteur bancaire africain – du risque souverain à la structuration des prêts – soutenus par notre cadre ECO pour l’alignement climatique. »
Harambee, un mot swahili signifiant « tout ensemble », symbolise l’unité, l’effort collectif et le progrès. Il revêt une grande signification culturelle à travers l’Afrique de l’Est, notamment au Kenya, et reflète l’identité d’Ecobank en tant qu’institution panafricaine.
Quelles sont les approches ou les outils innovants que vous utilisez pour mettre en œuvre votre plan d’action climatique ?
L’innovation numérique nous permet d’obtenir des gains d’efficacité opérationnelle à partir de l’intelligence climatique. Au cœur de cette démarche se trouve notre cadre exclusif, l’ECO Framework for Climate Alignment (EFCA), qui intègre les données de vulnérabilité climatique dans nos modèles de risque avec des analyses de scénarios complètes.
Notre système de contrôle des transactions est désormais entièrement automatisé, avec des paramètres climatiques intégrés. Parallèlement, nous développons des modèles de tarification ajustés au climat afin de simuler le risque de crédit selon différents scénarios, démontrant ainsi aux clients la valeur concrète d’une action climatique anticipée. Nous co-développons également des produits financiers et d’assurance liés au climat pour l’agriculture et d’autres secteurs vulnérables, en utilisant des données climatiques granulaires pour orienter la conception de ces produits.
À l’avenir, nous allons déployer des outils basés sur l’intelligence artificielle pour la modélisation des scénarios climatiques et la publication automatisée à travers nos opérations. Ces innovations améliorent la qualité du crédit, réduisent les risques des portefeuilles et élargissent l’accès au financement aligné avec le climat.
Ecobank a bénéficié de Proparco et d’autres institutions financières du développement d’un prêt lié à la durabilité (sustainability-linked loan), une première dans la région. Cette initiative renforce-t-elle ses objectifs climatiques ?
En 2023, nous avons conclu le premier prêt lié au développement durable pour une institution financière en Afrique subsaharienne – une transaction de 200 millions d’euros qui a marqué un véritable tournant, tant financier qu’institutionnel. L’accord, porté par Proparco et un consortium d’institutions de financement du développement, lie directement nos marges d’intérêt à des indicateurs de performance climatique vérifiés de manière indépendante. Mais ce qui est tout aussi important, c’est le programme d’assistance technique qui nous aide à intégrer des réformes de gouvernance climatique à l’échelle de toute la banque.
Nous nous sommes engagés à publier un rapport climatique complet à l’échelle du groupe, couvrant les prêts verts, les expositions aux secteurs à forte intensité de carbone, ainsi que les évaluations des risques climatiques physiques. Nous finalisons également notre stratégie climatique globale, comprenant des objectifs d’émissions financées, des trajectoires de décarbonation pour les secteurs à fortes émissions et une politique d’exclusion du charbon thermique.
Ce cadre a renforcé la confiance des clients et nous a positionnés idéalement pour élargir considérablement les prêts alignés avec des objectifs climatiques. Peut-être plus important encore, il a créé un modèle reproductible pour d’autres banques africaines – démontrant comment le financement lié à la performance peut conduire à une réelle réforme institutionnelle adaptée au contexte bancaire de notre continent.
Quelles autres initiatives ou produits spécifiques développez-vous pour augmenter de manière significative votre financement lié au climat ?
Notre initiative la plus marquante se trouve au Ghana, où notre accréditation par le Green Climate Fund nous a permis de lancer le Accelerating Solar Action Programme (ASAP) – une facilité de financement de 31 millions de dollars pour les systèmes photovoltaïques. Nous ciblons les ménages, les coopératives agricoles et les PME, en élargissant l’accès à l’énergie propre tout en soutenant la création d’emplois, les chaînes de valeur locales du solaire et la résilience climatique.
L’ASAP réussit à déployer des solutions à grande échelle là où de nombreuses transitions vers l’énergie propre échouent dès la phase de planification. Nous cherchons actuellement à identifier des opportunités similaires dans les marchés où les politiques nationales et la demande sectorielle sont en phase avec notre stratégie de financement durable. Ces initiatives répondent à nos obligations ESG tout en ouvrant de nouvelles sources de revenus dans le secteur des énergies décentralisées, dans le financement des PME et les prêts axés sur la résilience. En alignant notre bilan sur les résultats climatiques, nous améliorons notre compétitivité tout en contribuant à la construction de l’écosystème financier vert de l’Afrique.
Comment l’assistance technique fournie par Proparco et ses consultants aide-telle à renforcer vos capacités internes et à accélérer les actions climatiques ?
Le partenariat avec Proparco a eu un effet transformateur – il nous a permis de mettre en œuvre nos ambitions climatiques, qui sont devenues des actions tangibles. L’assistance technique nous a aidés à développer une stratégie climatique à l’échelle du groupe, à améliorer nos outils d’évaluation du risque de crédit, et à intégrer les considérations climatiques directement dans la conception de nos produits et dans nos décisions d’investissement. La formation et l’expertise fournies par Proparco ont été particulièrement précieuses.
Nos équipes disposent désormais des compétences nécessaires pour évaluer correctement les risques environnementaux et identifier les opportunités émergentes de financement vert. L’effet multiplicateur est évident : ces progrès internes nous permettent d’initier des transactions vertes à grande échelle, d’aligner nos flux de capitaux avec les objectifs climatiques nationaux et régionaux, et de contribuer à façonner le paysage plus large du financement climatique en Afrique. Ce qui a commencé comme un soutien technique est devenu une véritable transformation institutionnelle, permettant à Ecobank d’être un leader dans la mobilisation de capitaux pour une transition climatique inclusive.
Rencontrez-vous des défis pour recruter des personnes ayant des compétences en durabilité et en climat ?
L’Afrique connaît une pénurie de professionnels du climat alliant formation académique et expérience pratique. Pour Ecobank, cela représente un défi particulier étant donné notre besoin de spécialistes multilingues à travers 34 marchés dans des pays anglophones, francophones et lusophones. La demande a considérablement augmenté à mesure que le climat devient central dans la stratégie des entreprises, tandis que le vivier de talents reste limité.
Nous avons besoin de professionnels capables de naviguer dans des environnements réglementaires divers et de proposer des solutions durables à grande échelle. Pour surmonter cette difficulté, nous avons adopté une approche décentralisée, en développant nos capacités en interne à travers des détachements, du mentorat, des formations techniques et un apprentissage en temps réel. Tout le personnel clé est formé aux risques climatiques et à la finance durable afin d’assurer une application cohérente de nos politiques.
Bien que la pénurie de talents externes demeure un défi majeur, nous ne restons pas les bras croisés en attendant que le marché se rattrape : nous investissons dans nos équipes pour développer l’expertise dont nous avons besoin.
La stratégie climatique en 5 étapes d’Ecobank
- Fixer l’ambition : définir des objectifs climatiques clairs et délimités dans le temps, alignés sur les cadres internationaux (par exemple, l’Accord de Paris, NGFS, SBTi).
- Construire la base de données : mettre en place des systèmes de données climatiques – des référentiels d’émissions financées, des analyses de scénarios et une cartographie des risques physiques – pour les portefeuilles souverains, d’entreprises et de détail.
- Intégrer le climat dans la gouvernance et la gestion des risques : intégrer le climat dans les cadres de crédit, de gestion des risques d’entreprise et d’allocation du capital. Assurer la responsabilité au niveau du conseil d’administration, du comité exécutif et des opérations.
- Mobiliser des capitaux alignés sur le climat : développer des instruments de financement durable, des taxonomies internes et des mécanismes d’incitation pour orienter les financements vers des secteurs à faible émission de carbone et résilients au climat.
- Suivre, rendre compte et adapter : mettre en place des systèmes de reporting climatique (par exemple, Task Force on Climate Related Financial Disclosures, IFRS S2), de mesure de l’impact et de processus de feedback pour affiner la stratégie et répondre aux attentes des parties prenantes.
Pour aller plus loin
Voices for Change - Rachael Antwi, Ecobank
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