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Comment les institutions financières peuvent piloter la transition
Publié le
    
            
        Secteur Privé & Développement - Business & Climat : de l'ambition à l'action
Proparco publie une édition hors-série de sa revue Secteur Privé & Développement, consacrée au rôle stratégique du secteur privé et des institutions financières face à l’urgence climatique.
Le changement climatique bouleverse les fondamentaux économiques et rend obsolètes les modèles financiers hérités du passé. À mesure que les risques systémiques s’accumulent, les banques et les fonds sont appelés à dépasser leur rôle d’accompagnement pour devenir des moteurs actifs de la transition. En redirigeant les capitaux, en repensant les outils d’évaluation et en intégrant la résilience au cœur des décisions, ces acteurs financiers peuvent devenir des leviers décisifs de la transformation économique.
Au-delà des catastrophes naturelles répétées, le dérèglement climatique agit comme un facteur de déstabilisation économique globale. Tarissements, ruptures logistiques, arbitrages politiques : les actifs financiers sont exposés à des risques de plus en plus concrets et fréquents et de moins en moins prévisibles. En parallèle, la fragmentation des politiques climatiques, particulièrement visible aux États-Unis, affaiblit la coordination mondiale pour répondre à l’urgence. « Qu’il s’agisse de tarifs douaniers ou du détricotage de l’Inflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis, nous sommes face à quelque chose d’inédit, soit une inefficience économique dictée par la politique. Et chacun de ces pas en arrière augmente la température », alerte David Carlin, consultant et ancien responsable du programme Risque et adaptation à l’UNEP FI.
Dans un climat géopolitique instable, les engagements multilatéraux vacillent: l’Accord de Paris, le Green Climate Fund ou les taxonomies communes perdent en lisibilité. Toutefois, malgré le recul du consensus international, le climat reste un risque systémique majeur que les institutions financières doivent prendre non seulement en compte, mais aussi placer, plus que jamais, au cœur de leurs modèles décisionnels pour devenir moteur de la transition de toute l’économie. Par leur capacité à orienter les flux de capitaux, structurer les incitations et soutenir les trajectoires de transformation, elles sont des leviers décisifs.
La transition demande de nouveaux modèles de finance, de nouvelles manières de penser l’investissement, de l’innovation et de nouvelles façons de collaborer, de s’associer.
- Directrice du développement durable de Standard Chartered
 
        Marchés émergents : un défi et des opportunités
Dans les marchés émergents, ce changement de paradigme est fondamental. « Les pays émergents sont disproportionnellement affectés par le changement climatique, mais ce sont les populations les plus pauvres qui en subissent le plus les effets. La finance climat ne peut se limiter à financer des secteurs : elle doit aussi être inclusive et réellement bénéfique pour les populations les plus vulnérables », insiste Anita George, présidente-fondatrice de ProsperETE Capital Advisors. Face à des impacts climatiques majeurs et à des infrastructures énergétiques insuffisantes, ces économies n’ont d’autre choix que d’innover rapidement pour répondre à la fois à la demande croissante d’énergie et aux enjeux environnementaux.
Pour Anita George, il s’agit là non pas d’une contrainte mais d’une opportunité que les institutions financières doivent saisir. « 72 % des émissions proviennent des marchés émergents (Chine incluse), 28 % des pays développés. Dans bien des cas, les marchés émergents n’ont pas le luxe d’un héritage industriel dont disposent les pays développés. Ainsi, pour l’énergie, non seulement il faut décarboner les actifs existants, souvent très fossiles, mais également, la croissance est telle qu’il faut en construire de nouveaux. 80 % des bâtiments d’Afrique et 50 % de ceux en Inde restent à construire. Si nous pouvions ne construire que “propre”, l’impact serait immense », insiste Anita George.
S’inscrire au marathon net-zéro émission ne suffit pas ; il faut le plan d’entraînement pour dépasser la ligne d’arrivée, le plan de transition est votre plan d’entraînement.
- Consultant et ancien responsable du programme Risque et adaptation à l’UNEP FI
 
        Les champs d’action sont nombreux : véhicules électriques, stockage d’énergie, agriculture durable, recyclage de batteries, matériaux bas-carbone. Pour convertir ce potentiel, il faut un écosystème financier capable d’accompagner les acteurs à fort impact qui ont les solutions technologiques mais manquent souvent de moyens matériels et financiers. « Plus de 50 % des entreprises en phase de démarrage dans des pays comme l’Inde échouent. Aux États-Unis, ce taux est trois fois plus bas. L’un des principaux freins réside dans l’accès au capital. On doit faire beaucoup plus pour fournir du financement en fonds propres dans les marchés émergents, notamment dans la phase de croissance.
Il existe un véritable “chaînon manquant”. C’est donc une immense opportunité pour la finance mixte ou les fonds propres catalytiques. Pas besoin de gros montants de capitaux privés: de petites sommes bien placées peuvent faire une énorme différence », insiste Anita George. Le fonds ProsperETE, qu’elle dirige, déploie ainsi des solutions d’atténuation et d’adaptation à grande échelle, avec des capitaux catalytiques.
Transformer les modèles économiques et investir dans les acteurs de demain dans ces pays suppose ainsi un changement profond des critères de performance parmi lesquels il faut intégrer les notions de résilience, d’adaptation et de transition. « Dans le niveau d’incertitude et d’imprévisibilité dans lequel nous vivons aujourd’hui, la voie qui permettra de construire progressivement des portefeuilles peut-être un peu moins efficaces, mais bien plus résilients, passera par le fait d’accorder à la résilience une importance bien plus grande que la simple “efficacité comptable” », affirme Emmanuel Faber.
De l’ambition à l’action
Devenir moteur d’une transition vers une économie plus résiliente exige aussi la mise en œuvre de plans de transition robustes. « La clé, c’est l’opérationnalisation de la finance de transition. Beaucoup voient le plan de transition comme un exercice de reporting. La clé, c’est l’opérationnalisation de la finance de transition. Beaucoup de gens disent : “Oh, encore un exercice de reporting.” Mais il s’agit surtout de stratégie. S’inscrire au marathon zéro émission nette ne suffit pas; il faut le plan d’entraînement pour dépasser la ligne d’arrivée, le plan de transition est votre plan d’entraînement. Un bon plan pense la réallocation du capital, les modèles, et quels segments de l’activité doivent croître », souligne David Carlin. Selon lui, les meilleures organisations fixent le cap au sommet, diffusent les compétences en interne et alignent les dispositifs d’intéressement avec les objectifs climatiques. La banque britannique Standard Chartered, présente dans 59 pays (dont 40 émergents), a engagé cette mutation. Dès 2021, elle a aligné son portefeuille sur une trajectoire net-zéro, y compris pour les émissions de scope 3, celles des activités financées, qui représentent plus de 95 % de l’empreinte carbone d’une banque selon l’UNEP-FI.
« La transition demande de nouveaux modèles de finance, de nouvelles manières de penser l’investissement, de l’innovation et de nouvelles façons de collaborer, de s’associer », souligne Marisa Drew, directrice du développement durable de Standard Chartered. Pour accompagner cette transformation, la banque a créé cinq hubs thématiques (carbone, adaptation, finance mixte, économie circulaire, finance liée à la nature) dans le but de concevoir des structures financières inédites, orienter les flux de capitaux vers les bons projets et accompagner les clients dans leurs pivots stratégiques.
« Ce sont des espaces protégés, animés par des experts de chaque domaine thématique dont le rôle est de concevoir de nouvelles structures financières, d’inventer des méthodes inédites pour faire circuler les capitaux, de créer de nouveaux partenariats et de nouvelles formes de collaboration, afin de pouvoir aborder certains de ces enjeux », détaille Marisa Drew.
Il ne suffit pas d’avoir d’une idée brillante pour réussir : il faut des financements adaptés pour se développer et rendre ces innovations abordables et accessibles
- Présidente-fondatrice de ProsperETE Capital Advisors
 
        Chaque secteur-clé a été modélisé. Un outil d’aide à la décision permet désormais à tout banquier de vérifier si un prêt accroît ou réduit les émissions. « À chaque fois qu’ils veulent accorder un prêt dans l’un de ces secteurs, l’outil calcule les émissions associées, et indique si le prêt vous fait dépasser le seuil d’émissions fixé pour atteindre le net-zéro ou s’il finance une activité décarbonante. Cet outil structure l’échange avec le client, permet de l’accompagner vers une activité plus verte, et oriente le capital vers les bons projets, jusqu’à 2030 », analyse Marisa Drew.
Cette stratégie, combinée à des compétences internes solides et des incitations adaptées à tous les niveaux, génère déjà des résultats tangibles. « Outre notre objectif net-zéro 2050, nous nous sommes engagés à générer 1 milliard de dollars US de revenus de finance durable. Nous avons atteint 982 millions l’an dernier, avec un an d’avance sur la cible », se réjouit Marisa Drew.
Standard Chartered prouve ainsi qu’une institution financière peut conjuguer transformation stratégique, résilience à long terme et rentabilité immédiate à condition d’articuler vision politique, outils concrets et gouvernance forte. Loin d’être un coût, la transition bas-carbone devient alors un levier de croissance, de résilience et de compétitivité.
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Publié le 4 novembre 2025