Partager la page
Considérer le financement mixte comme une réussite
Publié le
- Jean-Baptiste SABATIÉ Directeur général délégué de Proparco Proparco
- Paddy CARTER Responsable Économie du développement British International Investment

Secteur Privé & Développement #43 - Institutions européennes de financement du développement : acteurs stratégiques dans un monde en mutation
Cette édition met en lumière les leviers d’action des institutions de financement du développement européennes qui investissent plus de 12 milliards d’euros par an dans le secteur privé des pays émergents. Ce numéro a été réalisé en collaboration avec l’association European Development Finance Institutions (EDFI).
Sur la question du financement mixte (blended finance), la conférence du FfD4 qui se tiendra à Séville ne doit être ni trop optimiste, ni trop négative. S’il ne s’agit pas d’une baguette magique, cet outil permet aux IFD de réaliser davantage d’investissements à impact, et d’attirer à plus grande échelle les capitaux privés vers des marchés qui en ont besoin. Ces dix dernières années, les IFD ont accompli de réels progrès, en faisant évoluer leurs business models et en créant des structures visant à déployer plus efficacement le financement mixte.
Le cabinet de conseil Gartner a inventé en 1995 le concept de hype cycle (« cycle de la hype ») qu’il appliquait aux nouvelles technologies. Selon ce schéma, l’engouement de départ conduit à un « pic des attentes exagérées », suivi d’un « gouffre des désillusions ». Mais à mesure que les produits arrivent à maturité, la « pente de l’illumination » s’amorce, pour finalement laisser la place au « plateau de la productivité ». En février 2025, l’OCDE tenait sa conférence sur le financement privé pour le développement durable. De table ronde en panel d’experts, toutes les conversations sur le financement mixte et la mobilisation des financements privés débutaient par la même question: pourquoi avons-nous échoué ? Un tel découragement ne se justifie en rien. Il est grand temps que ce débat quitte le gouffre des désillusions et qu’il gravisse la pente de l’illumination.
Le financement mixte permet aux institutions de financement du développement (IFD) de démultiplier leur impact. Les IFD ont vocation à accroître la quantité et la qualité des investissements dans les entreprises privées de pays à revenus faibles et intermédiaires pour soutenir le développement économique et social, pour combattre toutes les formes de pauvreté et pour accélérer la transition écologique. Un financement mixte est réussi lorsqu’il est utilisé efficacement pour apporter de l’investissement privé supplémentaire, avec des effets positifs sur la société. Les données les plus récentes mises à disposition par les banques multilatérales de développement (BMD) et les IFD font apparaître en 2022 une hausse annuelle de 12% des financements privés mobilisés à long terme, pour atteindre 63 milliards de dollars. Derrière ces chiffres clés, on retrouvera quantité d’exemples de financements mixtes utilisés avec succès à des fins d’impact.
Préparation du terrain
Les ambitions du financement mixte dépassent le simple co-investissement entre IFD et investisseurs privés. Lorsqu’une IFD soutient, sur un marché frontière (frontier market), un projet d’infrastructures comportant une part de prêts à long-terme consentis par des banques locales, on espère que ces établissements souhaiteront par la suite s’associer à d’autres projets du même type, entraînant de ce fait un accroissement de l’offre de capital à long terme par le secteur financier concerné. De même, lorsque les IFD créent des structures de financement spécifiquement conçues pour répondre aux besoins d’investisseurs institutionnels de l’OCDE, soumis à la réglementation, on espère que ces structures seront ensuite dupliquées et plus largement déployées, afin d’augmenter l’offre de capital sur des marchés où elle est insuffisante. C’est dans ce domaine que les progrès ont été plus lents. En étant optimistes, on peut considérer que le travail de fond est désormais accompli, et que nous entamons l’ascension vers le « plateau de la productivité ».
Les IFD ont en effet créé plusieurs structures qui devraient désormais induire un déploiement à plus grande échelle des capitaux privés. On peut citer par exemple l’Innovative Finance Facility for Climate in Asia and the Pacific de la Banque asiatique de développement, partenariat de financement multi-donateurs dont l’ambition est de mobiliser plus de 12 milliards de dollars; le SDG Loan Fund de 1,1 milliard mis en place par la FMO, Allianz et Skandia ; ou Scaling4Impact, une titrisation du portefeuille d’IDB Invest associant à hauteur d’un milliard de dollars Newmarket, Axis et AXA. Le fonds de dette privée ILX Fund – qui propose une participation sous forme de « prêts B » (« B-loan participation ») dans le cadre d’investissements réalisés par des IFD, et qui a créé son premier fonds en 2022 avec le soutien d’APG (le plus grand gestionnaire européen de fonds de pension) – a lancé son deuxième fonds en 2024. De son côté, BII a récemment organisé un concours ouvert aux sociétés de gestion d’actifs afin de recueillir les meilleures idées permettant de tirer parti du capital concessionnel d’une nouvelle facilité de mobilisation, en termes de déploiement et d’impact.
Les contraintes liées à la demande
Dans la vue d’ensemble reflétée par les données sur les flux de capitaux transfrontaliers, on ne constate pas d’augmentation rapide des volumes d’investissement, contrairement à ce qui serait requis pour accélérer la réalisation des ODD. Le financement mixte peut lutter contre les forces macroéconomiques (notamment le resserrement des politiques monétaires et la « polycrise »), mais il ne peut en triompher. L’idée selon laquelle des interventions portant sur l’offre – à l’instar du financement mixte – pourraient purement et simplement « réorienter » les milliers de milliards d’actifs sous gestion depuis les pays riches vers le monde en développement, a toujours relevé d’une conception erronée. Le financement privé a besoin, pour exister, d’entreprises souhaitant lever des fonds et financer leurs investissements. C’est donc la demande qui, au bout du compte, décide des volumes d’investissement que le financement mixte peut être amené à faciliter.
Tandis que beaucoup se lamentent sur l’échec du financement mixte dans la mise à l’échelle, certains s’inquièteront sans doute, à la conférence FfD4 de Séville, que l’on accorde trop d’importance à l’échelle et pas assez à l’impact. Cette dernière préoccupation est sans fondement. Difficile, en effet, d’imaginer des investissements pouvant avoir un impact plus important sur la lutte contre le réchauffement que ceux qui contribuent à décarboner les grandes économies émettrices des pays à revenu intermédiaire. Or c’est là principalement que les financements mixtes sont aujourd’hui déployés à l’échelle. Mais mobiliser le capital privé sur des marchés qui manquent des capitaux nécessaires ne constitue pas la seule fonction du financement mixte. Les IFD se servent aussi du capital concessionnel pour réaliser des investissements à fort impact qui, sans cela, auraient été impossibles. La plupart des IFD sont en effet tenues par leurs actionnaires à rester dans les limites de certains paramètres financiers. Certaines doivent préserver leur notation, et se conformer à des réglementations.
En associant l’actif de leur bilan classique à des poches de capital plus concessionnel, les IFD peuvent aller plus loin sur les marchés pré-émergents. Souvent de taille plus modeste, ces investissements n’intègrent pas nécessairement d’investisseurs privés lors de la transaction initiale et sont donc moins évidents à faire apparaître dans les statistiques de mobilisation, mais ils rapprochent bel et bien les entreprises comme les marchés du moment où il leur devient plus facile d’attirer l’investissement privé. Si la mobilisation à grande échelle et, plus largement, le développement des marchés de capitaux, sont des objectifs importants, pour autant la question de ce qui doit venir en premier ne se pose pas : c’est incontestablement l’impact.
À lire aussi


