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Ces vingt-cinq dernières années, des progrès incontestables ont été accomplis en matière d’égalité des genres et de promotion des droits et opportunités pour les femmes. Mais la vitesse de ces avancées ne suffit pas, loin s’en faut : selon le Forum économique mondial, à ce rythme, il faudra encore plus d’une centaine d’années pour faire disparaître les inégalités entre les sexes. L’égalité femmes-hommes est l’affaire de tous, et les acteurs du secteur privé ont donc eux aussi un rôle essentiel à jouer.

L’année 2020 est charnière pour l’égalité des genres. Elle marque en effet le vingt-cinquième anniversaire de la Quatrième conférence mondiale sur les femmes, conclue par l’adoption de la Déclaration et du Programme d’action de Pékin (1995), que beaucoup considèrent comme la feuille de route la plus aboutie en faveur de l’avancement des droits des femmes. Cette année est donc à la fois une année d’inventaire de ce qui a été accompli depuis, pour les femmes et les filles, et une année où s’impose l’appel à une action audacieuse et à de nouveaux engagements pour combler le fossé résiduel entre les genres à l’échelle de la planète. Ces vingt-cinq dernières années, notre monde a incontestablement accompli des progrès en matière de droits et opportunités pour les femmes. Selon l’indice Women, Business and the Law1, au cours des dix dernières années, 131 pays ont voté pas moins de 274 réformes de leurs lois ou réglementations, pour accroître l’égalité des chances et assurer l’autonomisation économique des femmes (lois sur le harcèlement sexuel ou obligations de non-discrimination dans l’accès au crédit, par exemple). En parallèle, on a vu augmenter l’entrepreneuriat chez les femmes2, ainsi que le nombre de femmes PDG ou cadres dirigeantes dans le monde. Pour la première fois en 2019, 33 des entreprises figurant au classement des entreprises les plus prospères étaient dirigées par des femmes, et 29 % des principaux postes d’encadrement étaient occupés par des femmes – la proportion la plus élevée jamais enregistrée 3.

 

PLUS DE 100 ANS POUR COMBLER L’ÉCART ENTRE LES SEXES

En dépit de ces résultats, les progrès n’interviennent pas assez vite. Selon le Forum économique mondial, au rythme actuel des changements, il faudrait encore 108 ans pour résorber totalement l’écart entre les genres dans le monde.4. L’Indice mondial de l’inégalité entre les sexes 2018 (Global Gender Gap Index)5. révèle que les femmes n’ont atteint la parité qu’à hauteur de 68 %, ce qui laisse un important écart de 32 % à combler. Dans la plupart des sociétés, les femmes restent faiblement représentées parmi les décideurs politiques. Elles détiennent moins d’actifs, gagnent moins que les hommes, ont un accès plus limité aux produits et services de base, et consacrent deux fois plus de temps aux tâches ménagères et autres activités non rémunérées, ce qui entrave leur participation à la vie économique. En outre, les femmes souffrent souvent de discriminations croisées, cumulant plusieurs « strates » de discriminations (en lien notamment avec le statut social, l’origine ethnique, la religion, la sexualité, etc.). Cela les rend proportionnellement plus vulnérables aux mauvais traitements et aux inégalités systémiques. La participation des femmes à l’économie est essentielle si l’on veut briser le cercle vicieux de ces discriminations. Pourtant, des barrières bien connues et d’autres, plus récentes, mettent en péril leur capacité à participer pleinement à la vie économique. Outre la persistance de lois discriminatoires et de normes sociales défavorables, le fossé dans l’accès aux actifs immobiliers, financiers et numériques représente une barrière structurelle qui empêche les femmes d’accéder à la parité. Partout dans le monde, leur surreprésentation dans le secteur informel continue d’être un frein à leur autonomisation économique, car ces travailleuses ne sont souvent pas couvertes par la législation du travail et qu’elles exercent pour des salaires inférieurs, mais aussi dans de mauvaises conditions, parfois dangereuses. Au niveau mondial, les femmes représentent 63 % du travail informel.6.  En Afrique subsaharienne, 74 % de l’emploi féminin (hors agriculture) relève de ce même secteur.7. D’autres écarts sont désormais pointés du doigt : à l’échelle mondiale, les femmes ne représentent que 22 % des emplois dans le secteur de l’intelligence artificielle (IA). À l’heure où la technologie et l’innovation sont devenues vitales, le déficit de compétences en matière d’IA, s’il n’est pas comblé, viendra aggraver pour les femmes l’inégalité des chances sur le marché du travail.8

 

EGALITÉ DES SEXES DANS LE TRAVAIL ET LA SOCIÉTÉ : LE RÔLE DU SECTEUR PRIVÉ

Le secteur privé joue un rôle essentiel dans le respect et la promotion des droits des femmes. Aujourd’hui, pour les entreprises, résoudre les inégalités de genre est plus important que jamais. L’inaction peut en effet entraîner à la fois des risques majeurs (notamment juridiques et de réputation), et des opportunités manquées. En juin 2019, plusieurs organisations multilatérales ont rappelé au secteur privé – avec plus de force que jamais – que l’égalité des genres est l’affaire de tous. Dans son rapport intitulé Gender Dimensions of the Guiding Principles on Business and Human Rights9, le Groupe de travail des Nations Unies sur les entreprises et les droits humains a renforcé l’obligation faite aux entreprises d’identifier, de prévenir et de corriger de façon proactive les violations des droits des femmes, dans leurs propres activités, mais aussi dans leurs chaînes logistiques et, localement, là où elles sont implantées. Parallèlement, la Convention sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail (C190), récemment adoptée par l’Organisation internationale du travail (OIT), reconnaît pour la première fois que la violence et le harcèlement (y compris sexuel), ne sont plus des questions cantonnées à la sphère domestique ou privée, et que les entreprises ont en la matière un devoir de prévention et de résolution. De plus, la mobilisation croissante des salariés face aux cas de harcèlement sexuel (avec, par exemple, les manifestations chez Google fin 2018) a bien montré à quel point une mauvaise gestion de ces affaires peut nuire à la réputation de l’entreprise. Ces dernières années, investisseurs et institutions financières se sont mis à exiger des entreprises qu’elles publient et commentent systématiquement des statistiques réparties selon le genre, dans leurs effectifs directs et indirects. En 2020, la World Benchmarking Alliance (WBA) mettra en accès libre un comparatif qui évaluera la performance des entreprises en matière d’égalité des sexes et établira un classement selon ce critère.10 Au-delà de la gestion du risque de réputation, ou d’une réponse aux récentes exigences juridiques « sexospécifiques », le secteur privé a tout intérêt à adopter une démarche proactive pour offrir aux femmes des chances plus égalitaires. En réalité, dans le monde des affaires, beaucoup ont déjà saisi cette opportunité, rejoignant la cohorte des dirigeants et décideurs du secteur public, d’organisations multilatérales ou de la société civile qui ont adopté les Principes d’autonomisation des femmes,11 s’engageant ainsi à leur donner davantage de pouvoir dans la sphère économique, au travail ou au sein d’une communauté.

Dans tous les secteurs et quelle que soit leur taille, les entreprises peuvent être source de progrès pour toutes les femmes entrant dans le périmètre de leurs opérations, et au-delà : celles qui sont salariées, entrepreneures, qui interviennent le long de la chaîne logistique, les clientes ou toutes celles qui sont directement ou indirectement concernées. Cela peut en outre se faire au bénéfice de l’entreprise. Des études ont montré que la promotion de l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes allaient de pair avec une hausse de l’innovation, du retour sur investissement, de la productivité, des économies de coûts, ainsi qu’avec une croissance des marchés.12 Des sociétés de private equity13 aux PME du secteur manufacturier,14 tout le monde est gagnant lorsqu’il s’agit de promouvoir la diversité des genres et de permettre aux femmes de s’épanouir au travail. Mais, de la même façon qu’il existe plus d’une réponse pour atteindre l’égalité des genres, plusieurs stratégies sont possibles pour une entreprise qui souhaite faire avancer l’autonomisation des femmes. D’abord parce que, pour être réellement des outils de changement et de transformation, ces stratégies doivent reposer sur des données solides et détaillées quant aux difficultés rencontrées par les femmes. Ensuite, parce que les réponses aux problèmes identifiés vont dépendre des actifs et leviers dont disposent les entreprises, lesquels seront à leur tour fonction du secteur et de la taille de la société. Indépendamment de ces paramètres, toutes les entreprises ont néanmoins un rôle essentiel à jouer pour faire de l’égalité des genres une réalité. Différentes mesures peuvent ainsi être mises en œuvre pour l’autonomisation des femmes, selon trois grands axes :

⇒ Agir directement sur les leviers sur lesquels l’entreprise a un contrôle immédiat. C’est un point de départ fondamental, qui peut consister à concevoir, revoir ou amender ses politiques, ses pratiques et ses investissements, afin d’induire des effets favorables aux femmes impliquées dans l’activité, la chaîne logistique, les marchés ou le cercle local de l’entreprise.

⇒ Permettre à d’autres d’apporter le changement, par le biais de mécanismes incitatifs ou de partenariats avec d’autres parties prenantes – entreprises, mais aussi ONG ou organisations de la société civile. Partenariats et investissements sont cruciaux pour emporter l’adhésion des autres acteurs de la chaîne de valeur, et développer en particulier la capacité de ces derniers à œuvrer en faveur de l’autonomisation des femmes.

⇒ Influencer l’écosystème au sens large, pour renforcer la sensibilisation à l’égalité des genres et résoudre collectivement les problèmes auxquels les femmes font face. Cela inclut notamment la recherche, le travail d’influence et la conjugaison d’efforts collectifs visant à des transformations radicales au bénéfice des femmes, y compris au niveau de la société dans son ensemble.

 

CONCLUSION

Vingt-cinq ans après l’adoption d’un cadre de référence essentiel pour la promotion des femmes, le temps est venu pour les entreprises du monde entier de donner la priorité à cet objectif, afin d’accélérer le rythme des changements. C’est une nécessité absolue si l’on veut aboutir rapidement à des univers professionnels et à des sociétés véritablement plus égalitaires du point de vue du genre.

 

1 https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/31327/WBL2019.pdf
2 https://www.gemconsortium.org/report/gem-20162017-womens-entrepreneurship-report
3 Grant Thornton, Women in Business: Building a Blueprint for Action, page 5, 2019
4 https://www.weforum.org/projects/closing-the-gender-gap-accelerators
5 Cet indice mesure l’écart entre les genres dans quatre domaines principaux : participation et opportunités économiques, niveau d’instruction, santé et survie, et autonomisation politique.
6 https://interactive.unwomen.org/multimedia/infographic/changingworldofwork/en/index.html
7 https://www.ilo.org/africa/whats-new/WCMS_377286/lang--en/index.htm
8 https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2019/03/global-gender-gap-report-infographic-wef-picture.htm
9 Dimensions du genre dans les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits humains, https://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/41/43
10 https://www.worldbenchmarkingalliance.org/gender-equality-and-empowerment-benchmark/
11 https://weps.org/
12 https://www.ifc.org/wps/wcm/connect/topics_ext_content/ifc_external_corporate_site/gender+at+ifc/priorities/entrepreneurship/ investing+in+women_new+evidence+for+the+business+case 13 https://www.ifc.org/wps/wcm/connect/topics_ext_content/ifc_external_corporate_site/gender+at+ifc/resources/gender-balance-in-emergingmarkets
14 https://www.ifc.org/wps/wcm/connect/ac8fca18-6586-48cc-bfba-832b41d6af68/IFC+Invest+in+Women+October+2017. pdf?MOD=AJPERES&CVID=lYLVAcA

Magali Barraja

Ancienne directrice associée,
BSR (Business for Social Responsibility)

Parcours

Magali Barraja a été directrice associée de BSR, organisation dont elle dirigeait toutes les activités liées à l’autonomisation des femmes en Europe. Elle est diplômée de l’université de Genève, de l'Institut des hautes études internationales et du développement de Genève et de l’Institut d’études politiques (Sciences Po) d’Aix-en-Provence.

BSR (Business for Social Responsibility)

BSR is a global nonprofit organization that works with its network of more than 250 member companies and other partners to build a just and sustainable world.

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