Les villes africaines comptent parmi les plus jeunes au monde, et les plus dynamiques en termes démographiques. Comme partout ailleurs, cet accroissement démographique exerce une pression importante sur les infrastructures, ainsi que sur les logements et les emplois disponibles, sans parler de l’impact sur les services publics ou le développement du marché informel. Et en même temps, il y a là une opportunité de faire les choses différemment, de s’appuyer sur les capacités d’innovation et la créativité de l’Afrique en faisant le lien avec des offres technologiques potentielles, et en mettant en commun les idées pour trouver des solutions et des moyens d’aller de l’avant. C’est la démarche adoptée entre 2019 et 2022 par le programme African Smart Towns Network (ASToN).
LIBÉRER LES RESSOURCES POUR ACCÉLÉRER LE DÉVELOPPEMENT NUMÉRIQUE
La transformation numérique était, dès l’origine, au cœur du programme ASToN mais, à son lancement, il est très vite apparu comme une évidence que certains défis étaient transversaux et communs à différentes villes, à des degrés divers. Par exemple, le renforcement des capacités numériques au sein d’une administration municipale est un exercice de longue haleine, en particulier lorsque la ressource humaine est limitée. Au-delà de l’investissement initial majeur que nécessitent la plupart des projets numériques, les villes se retrouvaient confrontées au choix de « faire ou faire faire ». En outre, l’introduction de la technologie et du numérique dans la gestion d’une ville se heurte souvent aux méthodes de travail traditionnelles, notamment lorsque les tâches sont encore effectuées à la main, entraînant, pour certains personnels municipaux, un risque de perte d’emploi.
Dans le réseau ASToN, la maturité numérique des institutions et de leurs territoires d’implantation était variable. Certaines villes, comme Niamey (au Niger) ou Bizerte (en Tunisie) lançaient leurs tout premiers projets numériques, tandis que d’autres, comme Kigali ou Kampala, avaient déjà mis en place des stratégies et des démarches de smart city. Malgré cette diversité de situations, il est rapidement apparu que le travail entre homologues, à la fois localement et au niveau international, pouvait donner aux villes l’élan nécessaire pour lancer le processus et trouver les ressources et les compétences requises pour se mettre au travail.
Agnes Khawa, de la Kampala City Capital Authority, partage son expérience pour la municipalité de Kampala, en Ouganda, membre du réseau ASToN : « […] Kampala est parvenue à mettre en place une solution numérique de mobilité baptisée KlaConnect. Grâce à elle […], les habitants seront à même d’améliorer leur expérience de mobilité par la consultation en temps réel d’informations relatives au trafic, aux incidents, aux fermetures de voies de circulation ou aux déviations […]. Nous avons également pu, à l’échelon local, réunir les différentes parties prenantes au sein d’un groupe d’action qui compte des représentants du secteur public et du secteur privé, des décideurs politiques, mais aussi des citoyens. »
En collaborant à la fois avec leurs homologues internationaux et avec un ensemble de parties prenantes au niveau local, des villes comme Kampala sont ainsi parvenues à échapper au dilemme du « faire ou faire faire ». En collaboration avec des partenaires privés, localement intégrés au groupe, les autorités municipales ont pu concevoir une solution qu’elles se sont véritablement appropriée. La municipalité continuera de suivre le projet et restera engagée tout au long du processus, à la fois du fait d’une volonté politique, d’engagement des équipes et de maintien des relations avec les autres membres du réseau. Dans le cas de villes en cours de décentralisation, comme Niamey (au Niger) ou Bamako (au Mali), le fait d’appartenir à un groupe de villes homologues donne aussi aux municipalités l’occasion de travailler avec les services de l’État, et d’établir avec eux des partenariats pérennes.
TESTER À PETITE ÉCHELLE, ÉCHOUER D’EMBLÉE : L’EXPÉRIMENTATION COMME OUTIL
La phase d’expérimentation du projet de Kampala a été conçue pour permettre aux autorités locales d’acquérir des manières de travailler non linéaires et de pouvoir tester ex ante certains volets de leur plan d’action local. Ainsi, les équipes municipales ont d’abord émis des hypothèses autour du projet, qu’elles ont ensuite cherché à valider ou invalider par l’expérimentation, afin de pouvoir intégrer ces enseignements dans leurs plans d’action. L’approche d’ASToN consistait à permettre aux collectivités d’accepter l’incertitude, et de concevoir leurs projets en partant d’une expérience concrète, facultative, puis de les adapter et de les faire évoluer en fonction des enseignements obtenus (sur les solutions, les utilisateurs et les autres parties prenantes).
Au moment où elle a rejoint ASToN, la ville de Sèmè-Podji, au Bénin, avait pour objectif la mise en place d’une numérisation de ses registres fonciers. L’équipe municipale s’inquiétait de la multiplication des conflits et des procès liés à la propriété des terrains. Farid Salako, conseiller municipal, raconte : « Notre solution a d’abord été testée dans un quartier de la ville, sur une superficie de 50 hectares. Rapidement, la municipalité a organisé des rencontres et des échanges avec les habitants de ce quartier, y compris avec les “sages” de la communauté, afin de leur expliquer le projet. Nous sommes fiers aujourd’hui de pouvoir dire que cela a fonctionné : nous avons été en mesure de collecter 80 % des données directement auprès des citoyens. » En tant que collectivité locale, dit-il, la municipalité a ainsi pu comprendre l’importance d’un test à petite échelle avant le déploiement du modèle, mais aussi l’importance d’une bonne communication avec les habitants.
En se concentrant sur une démarche d’expérimentation plutôt que sur des protocoles figés, ces villes ont pu tester leurs idées comme elles l’entendaient. La ville de Bizerte était à la recherche d’un partenaire pour développer une version élémentaire fonctionnelle de sa solution numérique (un « produit minimum viable »). Elle s’est rendu compte que ses propres protocoles et processus de passation de marchés exigeaient la constitution d’un cahier des charges à long terme, fixe et détaillé, ce qui ne laissait guère de place à des itérations successives du produit, adossées à une courbe d’apprentissage. En résumé, il s’agissait d’une méthode de travail figée qui aurait été inadaptée ou non pertinente pour la ville de Bizerte si elle avait été appliquée, et ne lui aurait pas permis de tester leurs hypothèses.
ASToN : un appui à 11 villes africaines dans leur effort vers la transition numériqueASToN est un réseau de 11 villes, implantées dans 11 pays africains, cherchant à développer leur transition numérique pour davantage de résilience et d’inclusivité. Convaincues que les outils numériques peuvent être un accélérateur du changement, elles se sont lancées dans le parcours d’acquisition de connaissances proposé par ASToN entre 2019 et 2022, afin de développer des solutions durables pour leurs citoyens. Le programme a fourni aux autorités locales de chacune de ces villes un cadre leur permettant de bâtir et de tester la feuille de route de leur transformation numérique. Le dispositif comportait une phase d’expérimentation, au cours de laquelle les équipes locales ont pu tester des réponses possibles, collecter des données et des points de vue pour identifier les approches fructueuses (et celles qui l’étaient moins), et comprendre comment mettre à l’échelle leurs idées et améliorer leurs travaux. ASToN a ainsi agi comme un catalyseur de changement à long terme, fournissant aux villes un socle sur lequel elles pourraient continuer de bâtir et développer leurs propres solutions numériques. Le budget total d’ASToN s’élevait à 2 995 000 euros sur trois ans. Il a été financé par l’AFD, en s’appuyant sur les méthodes et les outils du programme européen URBACT. |
PARCOURS D’ACQUISITION DES CONNAISSANCES ADAPTABLE
L’une des principales hypothèses de l’équipe de coordination du réseau ASToN était que les villes avanceraient plus vite sur le chemin de leur développement numérique en travaillant ensemble avec un groupe de « pairs ». L’équipe ignorait si cela fonctionnerait : comment, en effet, rassembler des individus issus d’une telle diversité de situations et de cultures en facilitant un échange fructueux ? C’était tout l’enjeu de cet apprentissage collectif, au sein d’un réseau d’une grande richesse, réunissant des professionnels chevronnés.
Le cheminement a été pensé de façon à intégrer les tests, les acquis et la réitération, afin d’aboutir à un dispositif programmatique dont l’adaptabilité saurait répondre aux besoins des villes, avec un équilibre bien dosé entre expertise technique et expérience du terrain. Ce dispositif propose tout d’abord un parcours centré sur l’action. Un programme de trois ans d’événements et d’ateliers, faisant intervenir des spécialistes sectoriels et des investisseurs, des rendez-vous réguliers avec un réseau de praticiens urbains, venus de toute l’Afrique, afin de favoriser le peer learning et l’entraide. Une mise en œuvre et un appui financier est par ailleurs apporté aux membres du groupe ; il s’agit d’un accompagnement sur-mesure, qui bénéficie du soutien de spécialistes et qui vise à développer un plan local d’action, assorti d’un budget alloué à la mise en œuvre du projet.
Au fur et à mesure des progrès d’implémentation et de l’évolution des besoins, les outils devenus superflus ont été désactivés, l’accent a été mis sur des aspects tels que la mise au point finale de l’expérimentation, la recherche de financements et les réglages administratifs. De même, il est apparu très tôt que, pour renforcer la communauté, le programme devait prendre le temps d’aller vers les gens, et de lever les obstacles à leur complète implication. La flexibilité, alliée à un rythme trimestriel de rencontres, a permis aux villes de se mettre temporairement en retrait en cas de nécessité, avant de redevenir proactives, ce que toutes ont choisi de faire.
… QUID DES SMART CITIES, DANS TOUT ÇA ?
Aux débuts du programme ASToN, de nombreux élus et fonctionnaires des villes participantes ont été consultés pour savoir ce que le terme de « ville intelligente » signifiait pour eux et pour les pouvoirs publics qu’ils représentaient. Leurs réponses ont été regroupées en trois catégories : « engagement citoyen », « prestation de services » et « croissance urbaine durable ». Chaque ville avait ainsi sa propre vision de ce que devait être une smart city. L’équipe de coordination du programme s’est vite rendu compte qu’il n’était pas nécessaire de se conformer à une seule de ces visions, les différents aspects pouvant tous être abordés au fil du programme. Elle a également pris conscience que le dénominateur commun des réponses reçues n’était pas l’aspect technologique : une prise de décision judicieuse et pleinement informée, comme ce fut le cas pour les municipalités de Sèmè-Podji, Kampala ou Bizerte, peut avoir davantage d’impact encore que les capteurs et l’intelligence artificielle.