Ces financements sont tout simplement insuffisants : on estime que 4 500 à 5 400 milliards de dollars seraient nécessaires pour mettre en œuvre les plans d’action climatique des villes, mais 1 % à peine de ce montant est actuellement disponible. La plupart des financements climatiques publics et multilatéraux sont par ailleurs inaccessibles aux administrations municipales, en particulier parce qu’ils nécessitent des garanties de l’État difficiles à mettre en place. Simplifier l’accès des villes aux financements, en particulier dans le Sud global, doit donc être une priorité pour quiconque se préoccupe du changement climatique. Il faudra, pour y parvenir et pour mobiliser à la bonne échelle le secteur public comme le secteur privé, mettre en place des partenariats efficaces entre les villes, les gouvernements, les institutions financières de développement et la communauté financière internationale dans son ensemble.
Le monde poursuit en outre son urbanisation, ce qui rend plus cruciale encore la question de la capacité d’action des villes. Ces dernières génèrent déjà plus de 70 % du PIB mondial et abritent plus de la moitié de la population de la planète, ce qui en fait d’importantes consommatrices de ressources naturelles, de nourriture, d’énergie et d’autres biens. On estime que la part des ressources naturelles consommées dans les villes représente entre 70 % et 75 % du total. D’ici 2050, avec l’accélération de l’urbanisation et de la croissance démographique, 2,5 milliards d’êtres humains supplémentaires habiteront en zone urbaine, et 90 % de cette augmentation concernera l’Afrique et l’Asie. Les villes doivent aussi faire face à d’immenses inégalités : on estime que plus du quart des citadins dans le monde vivent dans des quartiers informels, confrontés non seulement à des infrastructures inadaptées, mais aussi à des risques climatiques plus importants.
Les villes offrent cependant aussi de bonnes raisons d’espérer : elles sont au cœur de l’innovation, de l’entreprise et de l’activité économique. Elles jouent un rôle essentiel dans l’accès aux services publics, en fournissant des infrastructures vitales et en instaurant un environnement administratif et des conditions susceptibles de favoriser un climat des affaires qui soit propice à la croissance économique. Plus généralement, les centres urbains facilitent la mise en place de partenariats entre des institutions économiques (par exemple, les chambres de commerce et d’industrie), les PME, les universités, les centres de recherche, les organisations syndicales et les représentants de la société civile.
Investir dans la transformation des villes est aussi bénéfique parce qu’elles sont par nature riches en interconnexions. L’adaptation des villes et des régions au changement climatique, ou le fait de les aider à réduire leurs émissions, peut ainsi déboucher sur des effets vertueux beaucoup plus importants : création d’emplois verts, amélioration de la qualité de l’air, amélioration de la santé, de la résilience et de la qualité de vie. L’investissement dans des infrastructures urbaines vertes et durables permet également d’assurer la sécurité alimentaire et hydrique, de réduire le risque de catastrophes, de faire reculer la pauvreté et les inégalités. Les citoyens réclament des réponses innovantes, et davantage d’action et d’investissement pour combattre les crises du développement, du climat et de la biodiversité.
LA VILLE COMME CATALYSEUR D’UNE ACTION RENFORCÉE À L’ÉCHELLE NATIONALE
Les collectivités locales et territoriales ont élaboré des plans d’action climatiques et se sont engagées sur des thématiques liées aux Objectifs de développement durable (ODD), mais elles ne peuvent pas relever les défis de l’Agenda 2030 sans l’appui et le cadre facilitateur des États, des agences internationales et du secteur privé. C’est particulièrement vrai dans les pays du Sud global, où les investissements accusent un certain retard. Seules, les autorités municipales ont rarement la main sur l’ensemble des domaines clés nécessaires pour atteindre le « net zéro » et, pour faire progresser le développement durable, elles ont donc besoin d’une démarche collaborative avec les gouvernements nationaux et le secteur privé.
Il existe une grande diversité d’approches de la collaboration public-privé au niveau des villes : cela peut prendre la forme d’organismes officiels et de partenariats public-privé en bonne et due forme, comme pour le système de vélos partagés de Bogota (Bogota’s cycle network) ou la promenade sans voitures de Kigali (Kigali’s Imbuga City Walk), jusqu’à des alliances telles que le Forum sur l’énergie, l’eau et les déchets, à Cape Town (Cape Town’s Energy, Water & Waste Forum) ou la Cellule de véhicules électriques de Pune, en Inde (Pune’s EV Cell). Prendre appui sur l’expertise et sur les ressources du secteur privé peut ainsi permettre aux villes de réduire leurs émissions tout en assurant les services de leurs infrastructures essentielles, en renforçant la résilience urbaine, et en bâtissant des communautés prospères, mieux intégrées et plus inclusives.
En coopérant avec le secteur privé sur des projets clés de développement durable en milieu urbain, les villes peuvent faire un usage plus efficace de fonds publics au demeurant limités. Entre 2019 et 2023, Mexico City a ainsi investi 57 millions de dollars d’infrastructures dans la zone industrielle de Vallejo-i, pour favoriser l’utilisation mixte et densifiée des terres, ainsi que des espaces publics et des logements abordables. Les autorités municipales ont activement encouragé les entreprises à investir ou à venir s’installer dans le secteur, ce qui a permis d’attirer à ce jour plus de 800 millions de dollars d’investissement privé provenant de 300 entreprises, petites et grandes. L’aménagement d’un territoire ou le réaménagement urbain peuvent ainsi constituer une excellente opportunité de regrouper des entreprises, d’instaurer la confiance et de favoriser l’innovation.
LES DÉFIS DU FINANCEMENT URBAIN
Pour atteindre les ODD tout en restant dans les clous des objectifs de l’Accord de Paris de 2015, des investissements massifs sont nécessaires. Avant la pandémie, on estimait à environ 4,5 % du PIB le montant requis en moyenne chaque année, jusqu’en 2030, pour atteindre ces objectifs combinés – avec des investissements financés par le public comme par le privé. La nécessité d’investir dans des infrastructures durables varie d’une région à l’autre, et selon les secteurs. En Afrique, par exemple, on observe une croissance plus rapide de la population urbaine, et il existe également un besoin urgent de répondre aux inondations massives qui touchent les nombreuses villes côtières du continent – phénomène auquel les économies insulaires sont elles aussi particulièrement vulnérables. Dans beaucoup d’autres villes, ce besoin de financement concerne plus particulièrement les projets liés à l’énergie et à la gestion des ressources hydriques : soutenir ces projets nécessitera des investissements supplémentaires, axés sur la transition.
La masse des ressources nécessaires pour couvrir les besoins de financement des villes ne pourra tout simplement pas provenir des seules sources traditionnelles de financement, ou de l’aide publique au développement (APD), ou des institutions financières de développement (IFD). Pour mettre en œuvre l’Agenda 2030, le rôle des IFD – et notamment celui des banques multilatérales de développement (BMD) – doit évoluer, et passer du transfert des ressources à la mobilisation de ces dernières. Les financements et les investissements du secteur privé sont en effet essentiels. En moyenne, les collectivités locales et territoriales représentent 37 % du total de l’investissement public dans le monde. Elles sont, avec le secteur privé, les principaux acteurs chargés de l’entretien et du fonctionnement quotidien des infrastructures municipales. À condition d’être dotées d’une autonomie suffisante pour agir (notamment sur le plan budgétaire), elles peuvent donc réellement changer la donne, par la co-création de solutions innovantes au niveau local, et en mobilisant des ressources au profit des communautés qui les constituent. Il faut donc leur donner les moyens d’accéder à des emprunts responsables et à des fonds diversifiés (fonds verts ou fonds climatiques, par exemple). Une meilleure coordination contribuera aussi à mobiliser et combiner entre elles différentes sources d’investissement, afin de rendre les financements publics – parallèlement aux ressources du secteur privé – plus productifs, plus efficaces et plus inclusifs.
Par le passé, ce besoin de financement des villes n’a pas été suffisamment pris en compte dans les pourparlers du financement international. La 28e édition de la Conférence des Parties (COP28), qui s’est achevée récemment à Dubaï, fait néanmoins exception. Cette fois-ci, des centaines de maires, gouverneurs, dirigeants « infranationaux » et partenaires du développement urbain ont répondu à un appel à l’action sur ce thème, sous la houlette du président désigné de la COP28, Sultan Al Jaber, et de l’Envoyé spécial des Nations unies pour le climat, Michael Bloomberg. Les leaders « infranationaux » étaient ainsi invités à participer, durant les deux premiers jours de la COP28, à un sommet consacré à l’action locale pour le climat (LCAS). À cette occasion, les dirigeants des villes et collectivités territoriales se sont retrouvés sur scène aux côtés des leaders mondiaux. L’un des principaux résultats de ce sommet a été la création d’une nouvelle coalition, particulièrement ambitieuse, pour des partenariats multiniveaux : la Coalition for High-Amibition Multilevel Partnerships (CHAMP). Elle vise à renforcer la coopération entre autorités nationales et infranationales dans la planification, le financement, la mise en œuvre et le suivi des stratégies climatiques. Si les États-Nations intègrent comme il se doit l’action des villes à leurs engagements climatiques, et augmentent en conséquence leur appui législatif et financier, il sera possible d’aboutir en 2025 à des Contributions déterminées au niveau national (CDN) compatibles avec l’Accord de Paris. Cette coalition CHAMP compte aujourd’hui 71 pays signataires, et leur nombre continue de croître. Tous ses membres s’engagent à poursuivre collectivement leurs efforts pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels, tout en renforçant l’adaptation et la résilience.
ARGUMENTS EN FAVEUR DE LA MOBILISATION DU SECTEUR PRIVÉ
Les villes qui ont la volonté d’agir pour lutter contre le changement climatique et promouvoir la durabilité ont besoin d’être soutenues, afin d’attirer les investissements du secteur privé. L’expertise et les capacités techniques leur font en effet souvent défaut pour pouvoir préparer et présenter des projets bien structurés, notamment les projets durables et « climate-smart » susceptibles d’attirer les investissements. C’est souvent ce qui pose plus spécifiquement problème dans les villes du Sud global. Pour surmonter les obstacles financiers et mettre en place les conditions favorables requises, il convient d’aborder le sujet sous plusieurs angles.
En première ligne, de nombreux fonds et mécanismes destinés à épauler les villes dans la préparation de leurs projets ont été mis en place ces dernières années, afin de constituer un ensemble de dossiers climatiques pouvant faire l’objet d’un investissement ou d’un financement par la dette. Parmi ces dispositifs, on peut citer le City Climate Finance Gap Fund, mis en œuvre par la Banque européenne d’investissement et la Banque mondiale, avec le concours de divers partenaires, la C40 Cities Finance Facility (CFF), ou encore Cities and Climate in Africa (CICLIA), sous l’égide de l’Agence française de développement, et avec le soutien de l’UE – pour n’en citer que quelques-uns.
Les villes ont besoin de pouvoir combiner un accès direct et un accès « intermédié » aux fonds ou aux garanties. Pour faciliter et accompagner cet accès aux financements, des incitations peuvent être nécessaires, afin d’encourager les IFD et les investisseurs privés à dynamiser le marché des financements urbains pour le climat ou en faveur du développement durable. Si l’on veut que ces investissements soient bénéfiques à l’ensemble des parties, il faut souvent pouvoir y ajouter un accompagnement technique et des instruments de réduction du risque – par exemple, des financements concessionnels, ou des garanties destinées à couvrir les échéances publiques ou le risque de change. À plus long terme, il faudrait également que nous assistions à une refonte et à des réformes des cadres budgétaires et réglementaires nationaux, afin de permettre le développement d’instruments financiers innovants tels que les green bonds ou les prêts liés au développement durable.
À cet égard, la nouvelle méthodologie de comptabilisation des instruments du secteur privé dans l’aide publique au développement (approuvée en octobre 2023 par le Comité d’aide au développement de l’OCDE) va encourager les IFD, notamment, à augmenter le nombre d’accords de financement incluant des dispositifs de de-risking et des véhicules de financement mixte : mécanismes de garantie, investissements en capital ou dettes mezzanines.
Les réseaux de villes ont un rôle important à jouer dans la défense d’un ensemble de réformes, aux côtés des gestionnaires de fonds de pension, des investisseurs, des banques commerciales et des IFD, y compris les banques de développement nationales et multilatérales. Ensemble, nous devons viser à dégager un consensus parmi les décideurs politiques régionaux et nationaux concernés, qui devront donner la priorité à la conception et à la mise en œuvre d’un écosystème et d’une architecture véritablement systémiques pour le financement des enjeux climatiques urbains au niveau des villes. Il faut aussi s’assurer que les mandats des IFD, ainsi que leurs stratégies climat et développement durable, s’appuient sur des programmes de financement urbain intégrés et spécifiques, à même de traiter des projets de plus petite taille, de répondre à des besoins de financement en monnaie locale, et de formuler des stratégies d’atténuation du risque susceptibles d’attirer les financements privés. Enfin, il faut faire valoir plus généralement, dans une approche globale, la nécessité de donner la priorité aux villes pour l’augmentation des investissements publics et privés dans la résilience, l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.
Les villes peuvent résolument se placer au cœur de notre combat contre le changement climatique, à condition de disposer des financements nécessaires. Alors que la COP28 a donné un élan considérable à l’action multiniveaux, et que le temps presse si l’on veut assurer la survie de l’Accord de Paris signé en 2015, il est temps désormais d’accorder aux villes les ressources dont elles ont besoin, et de libérer ainsi tout leur potentiel.
Plus d’informations sur le Sommet mondial sur l’action pour le climat (LCAS) qui s’est tenu pour la première fois dans le cadre de la COP28.