Le Nigeria, un pays fragile ? Première économie africaine devant l’Afrique du Sud et l’Égypte, forte de ses 222 millions d’habitants, de ses 37 milliards de barils de réserves de pétrole (dont le Nigeria est le premier producteur en Afrique), de ses réserves minières, de sa superficie de 924000 kilomètres carrés, de ses climats variés (allant de la côte tropicale humide au sud, propice à la culture du cacao et de l’huile de palme, à la savane sahélienne au nord, en passant par les hauts plateaux du centre favorables à l’agriculture vivrière et céréalière), le pays est un géant économique au marché intérieur profond, avec une large base industrielle, une culture des affaires et un management de qualité.
DES DÉSÉQUILIBRES CONNUS ET DES SOLUTIONS CONSENSUELLES
La fragilité du Nigeria tient aujourd’hui à l’accumulation des difficultés auxquelles le pays est exposé, difficultés qui s’imbriquent et s’aggravent réciproquement. L’insécurité, la pauvreté, le déficit énergétique, la corruption, le manque d’infrastructures, le manque de devises et avec lui, la dépréciation du taux de change, sont des défis qui semblent impossibles à résoudre indépendamment les uns des autres.
Pourtant les solutions sont généralement consensuelles parmi les économistes. La hausse de la production énergétique nigériane, rendue possible par une sécurité accrue et des investissements massifs mais très rentables upstream (production pétrolière), midstream (densification du réseau de gazoducs) et downstream (modernisation des raffineries) viendrait réduire le déficit de la balance des paiements, stabiliser la devise, réduire les prix de l’énergie, créer de l’emploi, accroître la compétitivité de l’industrie et, ce faisant, améliorer la richesse nationale et réduire la pauvreté.
Néanmoins cette imbrication joue également dans le sens opposé. Comme la sécurité dans la région du delta du Niger ne s’améliore pas, les investissements dans les champs de pétrole onshore se réduisent, comme l’attestent les récentes décisions de Shell et TotalEnergies de céder certaines de leurs participations dans les champs de pétrole sur terre et en eau peu profonde. Le Nigeria n’atteint pas le plafond de production pétrolière octroyé par l’OPEP (1,3 million de barils par jour produits en moyenne en 2023 pour un plafond ajusté à 1,5 million en novembre 2023). Le pays peine à acheminer son gaz naturel vers les centres de consommation ; le gaz est torché à perte sur les sites de production de pétrole tout en libérant des gaz à effet de serre. En échouant à entretenir et moderniser les raffineries de la société nationale NNPC dont la production s’est réduite d’année en année, l’importation de produits raffinés s’accroît et pèse sur la balance des paiements en dollars. La devise nigériane, la naira, a été dévaluée deux fois entre juin 2023 (-44 %) et janvier 2024 (-39 %). Elle continue de se déprécier en février 2024. Le secteur privé est directement affecté par cette situation. Le coût de revient d’un litre de diesel au Nigeria est passé de 790 nairas à 1 227 nairas par litre entre août 2022 et février 2024.
UN IMPACT TRÈS NÉGATIF SUR LA FOURNITURE EN ÉLECTRICITÉ, INSTABLE ET ONÉREUSE
La situation du secteur électrique au Nigeria est symptomatique de la fragilité de l’économie. Les 42 gigawatts de capacité installée générés par 22 millions de groupes électrogènes, doivent être comparés aux 5,4 gigawatts fournis par le réseau électrique. Les particuliers, les acteurs économiques et les administrations doivent se substituer aux entreprises de distributions d’électricité (les « DISCOs ») défaillantes, en s’équipant de leurs propres générateurs qui fonctionnent en moyenne 4 à 8 heures par jour du fait des coupures de courant. Le coût de revient de cette électricité issue d’un diesel importé et payé en dollars est supérieur à 20 centimes de dollars par kilowattheure. Ce coût fluctue avec les prix du baril de pétrole mais surtout s’accroît en devise locale proportionnellement à la dépréciation de la naira, un défi pour les entreprises centrées sur le marché intérieur et pour les particuliers dont les revenus ne sont pas dollarisés.
Comment les entreprises nigérianes s’organisent-elles dans cet environnement ? C’est un défi de tous les jours, comme le racontent les dirigeants de Valentine Chicken, dans le secteur de l’agro-alimentaire, de JMG dans le secteur de l’assemblage de biens d’équipement, ou de Baze University, une université basée à Abuja. La majeure partie des équipements nécessaires à la production électrique, notamment les panneaux solaires, sont importés et payés en dollars. Le règlement de ces achats se fait au gré de l’obtention des dollars au guichet des banques commerciales, qui elles-mêmes tentent d’obtenir les allocations de la banque centrale nigériane (la CBN). Une situation critique qui a conduit en juin 2023 au limogeage du directeur de la CBN, à une dévaluation de la devise et au libre flottement du taux de change.
_ Au Tchad, ZIZ Énergie éclaire les villes secondairesLe taux d’électrification du Tchad est très faible : 6 % contre 48 % en moyenne en Afrique subsaharienne ; le réseau est concentré aujourd’hui autour de la capitale N’Djamena. La décentralisation de l’énergie est donc un enjeu clé pour le pays. Pour y répondre, l’entreprise tchadienne ZIZ Énergie – spécialisée depuis 18 ans dans le développement, la construction et l’exploitation de mini-réseaux électriques – fournit une énergie renouvelable, propre et fiable à des populations de villes secondaires en alimentant des ménages, des administrations et des entreprises (500 000 bénéficiaires estimés dans le pays). En 2023, Proparco a accordé un prêt de 1,5 million d’euros à cette PME qui compte plus d’une centaine d’employés. Ce financement permet d’aider à l’électrification d’infrastructures de base telles que des boulangeries, des universités, des hôpitaux ainsi que de nombreux particuliers. ZIZ Énergie participe ainsi au renforcement du tissu industriel tchadien grâce à l’offre commerciale et industrielle (C&I) que compte développer ZIZ Énergie. Il donne les moyens à ZIZ Énergie de lancer un projet d’infrastructure d’énergie décentralisée qui vise le développement, la construction et l’exploitation de mini-réseaux énergétiques dans les villes secondaires du pays. Ce projet qualifié 100 % climat-atténuation doit permettre d’avoir moins recours aux générateurs diesel, de stabiliser les tarifs de l’énergie tout en réduisant la dépendance énergétique des populations. |
LE SECTEUR PRIVÉ S’ORGANISE POUR SON ALIMENTATION ÉLECTRIQUE
Il est possible, pour les entreprises nigérianes, de signer un contrat d’achat d’électricité (PPA) avec les producteurs indépendants (IPP) spécialisés dans le solaire photovoltaïque à destination des entreprises commerciales et industrielles (le « solaire C & I »). La baisse constante des coûts de revient des panneaux photovoltaïques et de leur installation, en dollars, permet une alternative moins onéreuse au réseau électrique et aux générateurs diesel, à condition de s’engager sur des durées de 10 à 15 ans à des prix fixes mais indexés sur le dollar ou sur l’inflation. La réglementation nigériane autorise ces contrats d’achat pour les besoins propres des entreprises et autorise que des tiers construisent et opèrent ces centrales électriques privées.
Mais la politique énergétique d’une entreprise au Nigeria dépend de nombreux critères d’évaluation : anticipation des prix d’électricité sur le réseau fixés par le régulateur, nombre d’heures de coupures de courant par jour, prix du litre de diesel en dollars et en devise locale, prix proposé par les IPP pour les PPA – qui varient en fonction de l’irradiation solaire, de la disponibilité de l’espace nécessaire à l’installation d’une centrale photovoltaïque, de la qualité de crédit de l’entreprise et des coûts de financement.
Ces facteurs qui influencent la prise de décision changent très rapidement et souvent – par exemple l’évolution du taux de change dollar/naira renchérit mathématiquement en devise locale le coût d’un PPA facturé en dollars. Si un acteur économique compare le prix proposé par un producteur indépendant à celui du réseau électrique, cette comparaison devient défavorable au PPA le lendemain d’une dépréciation de la devise, d’autant plus que le régulateur tend à différer la répercussion des coûts d’approvisionnement en énergie primaire sur les prix de l’électricité du réseau. De la même manière, les prix du diesel consommé dans les générateurs sont influencés par les taxes ou subventions applicables, et les acteurs économiques font nécessairement des paris sur l’évolution de l’action publique, dans le sens de la taxation ou de la subvention. Tout cela affecte et donc retarde la décision économique en faveur des énergies renouvelables.
Autre facteur déterminant dans la stratégie énergétique du secteur privé : les anticipations de réforme du secteur de l’électricité. Au Nigeria, la distribution électrique est confiée aux DISCOs dont la santé économique varie d’un État à l’autre. La réforme du secteur électrique entérinée en juin 2023 par le gouvernement Tinubu prévoit de laisser aux États la responsabilité de leur filière électrique. L’incertitude sur la nouvelle réglementation qui entrera en vigueur dans chaque État de la fédération nigériane pousse une partie des acteurs, à tort ou à raison, au statu quo.
Le manque de visibilité du secteur privé sur la capacité du réseau électrique à subvenir à ses besoins et le coût de cette énergie à venir est caractéristique d’un pays fragile comme le Nigeria, caractéristique que l’on retrouve dans la majeure partie des pays d’Afrique subsaharienne. Les choix effectués dans ce contexte incertain détermineront les niveaux de marge des entreprises dans les années à venir, et influenceront leur compétitivité. L’irruption du solaire photovoltaïque dans l’équation économique est vertueuse car son coût de revient est inférieur au prix du réseau électrique et des groupes électrogènes dans la plupart des configurations, mais cela ne suffit pas à déclencher la décision d’investissement et d’engagement face à l’incertitude créée par la fluctuation du taux de change, l’action du régulateur et les choix nationaux en termes de politique énergétique. Pour répondre autant que possible à cette incertitude, les institutions de financement réduisent au maximum les délais de financement et adaptent leurs offres aux projets solaires du secteur privé.
_ Avec Nuru, vers une énergie propre et abordable en RDCÀ l’origine du premier réseau solaire photovoltaïque urbain en République démocratique du Congo (RDC), la société Nuru (qui signifie « lumière » en swahili) est un acteur clé de l’accès à une énergie propre, fiable et abordable aux populations situées dans l’Est du pays en proie à des violences armées récurrentes. En juillet 2023, Nuru a clôturé un financement par actions de série B de plus de 41 millions de dollars. Ce fonds permettra à Nuru d’accélérer la mise en œuvre de projets énergétiques d’une capacité totale de 13,7 MWp. Ces projets étendront de manière significative les actifs opérationnels existants de l’entreprise dans l’Est de la RDC et contribueront à combler l’énorme déficit énergétique dans le pays. Les 41 millions de dollars de fonds proviennent d’investisseurs en capital leaders sur le marché, notamment la SFI, la Global Energy Alliance for People and Planet (GEAPP, soutenue par les fondations Rockefeller, Ikea et Bezos Earth Fund), la Renewable Energy Performance Plateform (REPP), Proparco, Voltalia et les fonds d’impact Energy Access Ventures (EAV) et Gaïa. « Quand vous venez ici [en RDC] et que vous voyez la soif d'énergie, le potentiel de croissance, vous pouvez enfin regarder au-delà des risques et voir à quel point cet investissement sera transformateur et représente une véritable opportunité d'affaires », se réjouit Archip Lobo, co-fondateur de Nuru. |