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Burkina Faso - Agriculture
Le fonds FEFISOL II – qui soutient les institutions de microfinance rurales et les structures agricoles – et l’association Entrepreneurs du Monde – qui travaille à l’insertion sociale et économique des personnes en situation de grande précarité – œuvrent en Afrique dans des zones fragilisées. En finançant et en accompagnant des institutions de microfinance, des structures agricoles et des micro-entrepreneurs, en prenant aussi en compte les enjeux climatiques et environnementaux, le fonds et l’association améliorent les conditions de vie de nombreux travailleurs précaires, renforcent la sécurité alimentaire et répondent à des situations d’urgence en adaptant leurs interventions à des contextes de crise, fortement évolutifs.

QUEL EST L'ÉTAT DU SECTEUR PRIVÉ DANS LES PAYS FRAGILES OÙ VOUS ÊTES PRÉSENTS ?

Marie Ateba-Forget : Le secteur privé dans les pays fragiles où nous travaillons est peu structuré et faiblement développé. Il ne génère donc que très peu d’emplois salariés et formels pour les populations les plus vulnérables. Pour accéder à un revenu, ces populations sont contraintes d’entreprendre pour s’auto-employer. Au Burkina Faso, l’économie informelle représente ainsi 91,8 % des emplois. Dans certains pays fragiles, la situation s’est fortement détériorée : au Myanmar, dans les ménages accompagnés, au moins une personne avait accès à un emploi salarié peu qualifié. Quelques mois après le coup d’État en 2021, ces emplois avaient disparu, rendant les familles encore plus dépendantes de l’auto-entrepreneuriat. Dans ces pays fragiles, il est primordial d’accompagner ces personnes devenues micro-entrepreneurs sans l’avoir vraiment choisi, et qui n’ont, à court terme, aucune alternative pour subvenir à leurs besoins.

Natasha Olmi : Les contextes locaux sont généralement compliqués pour les structures du secteur privé que nous finançons en Afrique. Par exemple, notre partenaire Hekima, une institution de microfinance (IMF) qui opère dans la région du Kivu de l’Est de la RDC, est contrainte par un environnement social et économique dégradé par plusieurs décennies de conflits. La gouvernance du pays est faible et l’IMF travaille dans un environnement réglementaire complexe et incertain, dans lequel la microfinance n’a pas toujours bonne presse du fait des fraudes successives. Dans cette région, Hekima propose aux populations pauvres économiquement actives des services de qualité, en accordant une attention particulière aux femmes entrepreneuses, qui représentent 76 % de ses clients. la Solidarité Internationale pour le Développement et l’Investissement (SIDI) et FEFISOL II soutiennent ce partenaire avec des financements et de l’accompagnement.

QUELS IMPACTS RECHERCHEZ-VOUS EN PRIORITÉ SUR CES TERRITOIRES ?

N. O : FEFISOL II est un fonds orienté à 100 % sur l’Afrique, et comme ses fondateurs la SIDI et Alterfin, nous cherchons à aller là où les autres ne vont pas ou peu – pour être le plus « additionnel » possible. Nous souhaitons renforcer l’inclusion financière des populations les plus vulnérables et éloignées des services financiers, notamment les femmes et les ruraux. L’objectif est de toucher 1,8 million de bénéficiaires actifs sur la durée du fonds (12 ans) dont plus de 50 % en zone rurale. En ce qui concerne les entreprises agricoles, nous cherchons à accroître l’engagement de nos partenaires dans la transition écologique et sociale des moyens de production. L’objectif est de toucher plus de 70 000 petits producteurs, dont plus de 70 % certifiés en agriculture biologique ou en commerce équitable.
 
M. A-F : Haïti, le Myanmar et le Burkina Faso ont vu leur situation politique et sécuritaire se détériorer fortement au cours des trois dernières années. Dans ces territoires, notre réaction immédiate est de maintenir notre présence pour assurer la continuité des services : épargne, crédit, formation, équipements pour la cuisson et l’éclairage, etc. En effet, les familles vulnérables sont frappées de plein fouet par les mutations en cours et font face à des problématiques de survie (sécurité, alimentation). Nous devons aussi ajuster et accentuer notre accompagnement : par exemple en renforçant notre appui aux agriculteurs et agricultrices, garants de la sécurité alimentaire. Le Prix européen de la microfinance obtenu par Yikri au Burkina Faso est une belle illustration de cet engagement.

LORSQUE VOUS IDENTIFIEZ DE NOUVEAUX PROJETS, QU’ANALYSEZ-VOUS EN PRIORITÉ ?

M. A-F : Historiquement, Entrepreneurs du Monde agit dans le secteur de la microfinance sociale. Lors de l’accompagnement des micro-entrepreneurs, l’ensemble des dépenses et revenus du ménage est enregistré et analysé. Nous avons ainsi observé que les dépenses en énergie (bois, charbon, kérosène, torches à pile) constituaient un poste important (jusqu’à 25 % du budget) et nous avons donc développé des entreprises sociales d’accès à une énergie propre. De la même façon, nous avions envie d’agir sur les dépenses de santé, qui impactent fortement les activités des bénéficiaires et nous avons développé, en partenariat avec l’ONG ATIA, des mutuelles de santé. Aujourd’hui, dans les pays fragiles, nous travaillons sur les enjeux de sécurité alimentaire.
 
N. O : Le projet social et environnemental est clé dans notre analyse : vision/mission, répartition de la valeur ajoutée, gouvernance, etc. Nous portons également une attention particulière aux risques sociaux et environnementaux, notamment dans les filières agricoles. Si nous identifions un risque, nous mettons en place un plan d’action social et environnemental. Par ailleurs, en tant que fonds de dette, nous devons analyser en profondeur la viabilité économique à moyen terme : les partenaires doivent avoir un modèle économique viable confirmé pour pouvoir nous rembourser. Nous réalisons un suivi trimestriel de nos partenaires IMF et pour les filières agricoles, plus informelles, nous suivons de près le déroulé de la campagne agricole.

PLUS PRÉCISÉMENT, COMMENT ACCOMPAGNEZ-VOUS LES PROJETS SOUTENUS ?

N. O : Puisque l’accompagnement technique (AT) a été un élément clé de succès du précédent fonds, la SIDI a décidé de structurer une nouvelle facilité d’accompagnement technique pour FEFISOL II, financée par Proparco et BIO, l'institution financières du développement belge. L’accompagnement proposé est basé sur les besoins de nos partenaires. En 2023, la facilité a accompagné par exemple Gebana Togo, PME togolaise exportatrice de soja bio, dans le déploiement de la technique « de l’inoculation », qui permet non seulement d’augmenter les revenus des petits producteurs mais aussi de favoriser la croissance des plants de soja (20 % d’augmentation du volume de production attendu pour 1 700 petits producteurs) tout en améliorant naturellement la qualité des sols.
 
M. A-F : Notre accompagnement consiste à apporter un appui technique et à outiller des équipes locales pour qu’elles atteignent l’autonomie opérationnelle (formation, outils et procédures), financière (atteinte de l’équilibre financier) et institutionnelle (enregistrement d’entités de droit local, mise en place d’une gouvernance solide). Mais il s’agit aussi d’assurer un appui financier, sous forme de dons pour couvrir le déficit d’exploitation des premières années de prêts et de capital pour le déploiement des activités auprès d’un plus grand nombre de bénéficiaires et pour favoriser le changement d’échelle. Notre modèle d’incubation nous a amenés à construire tout un écosystème, car aucun investisseur n’était prêt à soutenir des entreprises sociales n’ayant pas encore atteint le point d’équilibre.

AVEZ-VOUS NOUÉ DES PARTENARIATS SPÉCIFIQUES SUR PLACE POUR PÉRENNISER VOS FINANCEMENTS ?

M. A-F : Dès le démarrage des projets, Entrepreneurs du Monde appuie une structure de droit local, le plus souvent sous un statut juridique d’entreprise, et l’accompagne dans la durée (une dizaine d’années), dans toutes les étapes de sa croissance. Cet accompagnement, transverse (finances, performance sociale, gouvernance, système d'information et de gestion, etc.) et continu, permet d’outiller, d’innover, de former et faire monter en compétences l’équipe locale. Entrepreneurs du Monde occupe une place clef dans la gouvernance de la structure et se porte garante de sa mission sociale. Ce modèle d’intervention permet de rassurer les investisseurs et, sur le terrain, l’émergence de ces entreprises sociales assure la pérennité des services et permet l’accompagnement des bénéficiaires dans la durée. Enfin, dans les pays fragiles, l’indépendance assumée de ces structures privées vis-à-vis du secteur public se révèle être un atout important.

N. O : Le fonds FEFISOL s’appuie sur les partenariats noués par ses fondateurs, la SIDI et Alterfin. Nous collaborons généralement avec des ONG d’appui aux filières agricoles, de manière à croiser les regards sur le partenaire, ce qui permet également de réduire le risque de contrepartie – Nitidae, par exemple, est un de ces partenaires privilégiés sur le terrain. Par ailleurs, à l’autre bout de la chaîne, nous travaillons avec les acheteurs de produits agricoles en Europe – notamment avec Ethiquable, une entreprise coopérative française spécialisée dans la vente de produits biologiques issus du commerce équitable, avec laquelle la SIDI vient de signer un partenariat stratégique de long-terme.

SELON VOUS, COMMENT VA ÉVOLUER LA SITUATION DANS CES ZONES TRÈS FRAGILISÉES ?

N. O : Les effets du changement climatique seront sans doute plus prégnants à l’avenir. Parallèlement, l’accès à l’énergie – en particulier propre – restera probablement un défi majeur. Pour y répondre, nous cherchons à équiper nos partenaires de centrales de production d’énergie renouvelable et travaillons à la valorisation des coproduits organiques issus de la transformation (par pyrolyse des coques de noix de cajou par exemple). Nous soutenons aussi la production d’alternatives organiques et locales aux intrants chimiques.

M. A-F : Dans le contexte international actuel, il est difficile d’être optimiste. Dans les trois pays fragiles où nous travaillons, nous nous préparons à des contextes durablement dégradés et travaillons avec les équipes locales à nous adapter. L’augmentation de l’extrême pauvreté et de l’insécurité alimentaire en trois ans est impressionnante et nous savons que de nouveaux facteurs aggravants liés au changement climatique risquent de venir s’y ajouter. Au Burkina Faso, nous lançons une expérimentation auprès des personnes déplacées en situation d’extrême précarité : nous leur octroyons un revenu sur une durée limitée et un accompagnement renforcé pour leur permettre de mettre en place une activité génératrice de revenus. Au Myanmar, nous réfléchissons à la mise en place de « food transfer », un système qui facilite l'accès à un prix soutenable à des denrées alimentaires. Dans ces trois pays, nous renforçons notre accompagnement des petits agriculteurs et agricultrices, qui sont les acteurs essentiels de la sécurité alimentaire.

QU’ATTENDEZ-VOUS DES BAILLEURS ET OBSERVEZ-VOUS CHEZ EUX DE NOUVELLES « TENDANCES » DE FINANCEMENT ?

N. O : Étant donné l’amplification et la superposition des risques en Afrique, nous attendons des bailleurs internationaux davantage d’engagements pour partager le risque : pour compenser la faible rentabilité des petits tickets et des clients les plus fragiles, mécanismes de couverture du risque (politique, de contrepartie, de change), première perte, etc. Cela permettrait à un fonds comme FEFISOL II, dédié au financement de la microfinance rurale et des exploitations agricoles familiales, d’amplifier ses activités dans ces pays les plus fragiles, en renforçant sa mission et son additionnalité.

M. A-F : Avec l’augmentation des taux d’intérêt, le recours à l’emprunt fragilise le modèle économique des entreprises sociales qui luttent pour ne pas répercuter ces coûts sur les bénéficiaires, déjà très vulnérables à l’inflation. Alors que la capitalisation de nos entreprises sociales devient de plus en plus urgente, il est encore plus difficile de convaincre des investisseurs, mêmes sociaux, quand il s’agit de projets situés dans des zones fragiles. Les bailleurs publics doivent donc prendre des participations dans les entreprises solidaires à utilité sociale (ESUS) des pays en développement, en leur proposant des conditions compatibles avec leur mission sociale et leur lucrativité limitée.

Marie Ateba-Forget

Marie Ateba-Forget

Responsable de la microfinance sociale
Entrepreneurs du Monde

Parcours

Marie Ateba-Forget est responsable de la microfinance sociale à Entrepreneurs du Monde. En plus de piloter la stratégie de l’association dans ce domaine, elle coordonne le développement de 9 institutions de microfinance (IMF) en Asie, en Haïti et en Afrique de l’Ouest. Marie possède plus de 13 ans d’expérience dans le secteur, que ce soit sur le terrain en tant qu’analyste auprès d’IMF (Pérou et Burkina Faso) ou au siège d’Entrepreneurs du Monde.

Entrepreneurs du Monde

Entrepreneurs du Monde est une association à but non lucratif qui accompagne l’insertion sociale et économique de personnes en situation de grande précarité dans le monde, en particulier en les aidant à entreprendre, à accéder à l’énergie et à s’adapter au changement climatique pour s’émanciper. Pour réaliser sa mission, elle crée et accompagne le développement des entreprises sociales jusqu’à leur autonomie. Entrepreneurs du Monde est intervenu en 2022 dans 15 pays auprès de plus de 340 000 micro-entrepreneurs.

Natasha Olmi

Natasha Olmi

Responsable de la coordination du portefeuille du fonds FEFISOL II
FEFISOL II

Parcours

Natasha Olmi est responsable de la coordination du portefeuille de FEFISOL II depuis son lancement. Elle travaille à Solidarité Internationale pour le Développement et l’Investissement (SIDI) depuis 6 ans, où elle a débuté en tant que chargée de partenariats pour l’Afrique de l’Ouest. Natasha dispose de plus de 9 années d’expérience dans le financement d’institutions de microfinance et d’entreprises agricoles en Afrique.

FEFISOL II

Fort du succès de FEFISOL I, les investisseurs sociaux que sont Solidarité Internationale pour le Développement et l’Investissement (SIDI) et Alterfin ont lancé FEFISOL II en juin 2022. Géré par la société Inpulse en Belgique, il s’agit d’un fonds de dette exclusivement dédié à l’Afrique, qui finance les institutions de microfinance rurales et les structures agricoles. En soutenant la mise en œuvre de pratiques durables sur le plan social et environnemental, le fonds (dans lequel Proparco a investi via FISEA) vise à améliorer le niveau de vie des populations et à réduire les inégalités.
 

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