Dans certaines circonstances, l’investissement peut nuire ou désavantager des populations données, créant ainsi des « gagnants » et des « perdants ». Lorsque ceux qui ont été avantagés et ceux qui ne le sont pas entretiennent des relations violentes, lorsqu’ils forment des groupes en proie à des tensions sociales et politiques, l’investissement peut générer des conflits, les rendre plus fréquents ou permanents. Un investissement peut aussi alimenter un conflit s’il est directement ou indirectement accaparé par des acteurs malhonnêtes, par l’extorsion, la corruption ou le détournement. Ces personnes mal intentionnées peuvent appartenir à des groupes armés non étatiques ou à des organisations criminelles, voire opérer au sein du gouvernement lorsqu’un État est non démocratique ou corrompu. Des individus appartenant à ces organisations peuvent par ailleurs détenir des intérêts légitimes et formels, qui sont ou se retrouvent liés à des activités illicites ou violentes, ou sont utilisés pour financer ces activités. Lorsque les institutions financières de développement (IFD) investissent dans des zones en situation de fragilité ou de conflit, il est impératif d’éviter tout impact social ou politique négatif. Mais si elles tiennent compte de ces risques spécifiques, elles peuvent en revanche avoir une influence positive sur les dynamiques du conflit, sur la violence et sur la fragilité.
POUR LES IFD, QUELLE STRATÉGIE ADOPTER ?
Dans le cas des FCS, les impacts positifs sur la paix et la stabilité ne sont pas la conséquence fortuite d’un investissement. Ils ne peuvent au contraire résulter que de stratégies délibérées, calibrées pour produire ces effets. Bien entendu, les IFD ne sont pas obligées de « cibler » exclusivement la paix et la stabilité : des objectifs de création d’emplois et de moyens de subsistance, poursuivis en tenant compte de l’existence du conflit, constituent une stratégie parfaitement légitime. Le type de projets sélectionnés, les partenaires impliqués, les modalités de mise en œuvre du projet constituent dans ce contexte des décisions stratégiques qui peuvent impacter la paix et la stabilité. Du fait des risques encourus par l’investisseur et de ceux qu’il fait lui-même peser sur le contexte, l’attention aux conflits doit être à la base de la démarche de financement.
En interne, la responsabilisation, les mécanismes incitatifs et les procédures doivent refléter les mandats de l’organisation au regard de résultats spécifiquement ciblés. Les équipes travaillant dans ces zones doivent posséder des compétences spécifiques en matière d’analyse de conflits et être à même de déterminer les effets politiques et sociaux des projets qu’elles gèrent. Elles peuvent aussi s’appuyer sur des indicateurs de performance clés ciblant les résultats stratégiques au moins autant, si ce n’est davantage, que le débouclage de l’investissement et le ROI. L’analyse de conflits doit servir de base à la conception des projets et l’étude de leurs impacts probables sur le conflit doit permettre, le cas échéant, de les redéfinir. Les mécanismes internes d’apprentissage doivent pouvoir amener des changements organisationnels répondant aux impacts sociaux et politiques observés, qu’ils soient positifs ou négatifs.
QUELS TYPES DE PARTENARIATS LES IFD DOIVENT-ELLES FAVORISER ?
Dans les FCS, deux types de collaboration sont à envisager pour les IFD. Le premier se fonde sur la complémentarité entre homologues : les IFD qui travaillent dans les mêmes contextes doivent promouvoir ensemble les approches « sensibles aux conflits » en mettant en commun leurs analyses, en favorisant les synergies et en évitant la concurrence inutile. Le second type de collaboration concerne les partenaires et les intermédiaires qui interviennent dans un projet. Les IFD doivent travailler conjointement avec des acteurs internationaux, régionaux, nationaux ou locaux disposant de positionnements, de compétences, de réseaux ou de mandats qu’elles n’ont pas nécessairement. Ils peuvent en effet jouer un rôle décisif pour investir dans des environnements complexes, notamment en mobilisant un appui local, en établissant des structures de gouvernance à l’échelle de la communauté, ou en facilitant le dialogue sur des sujets litigieux.
COMMENT UNE IFD DOIT-ELLE MESURER SON IMPACT ?
Du fait de la nature complexe des conflits et de la difficulté à établir des liens de cause à effet, l’évaluation des impacts du financement sur la paix et la stabilité peut s’avérer délicate. La participation d’un très large éventail de parties prenantes permet d’obtenir de nombreux points de vue sur les effets d’un investissement, à condition que les partenariats soient fondés sur la confiance, et qu’ils impliquent des acteurs locaux à même de faciliter un processus constructif. Les zones en situation de fragilité et de conflit ont des contextes mouvants, parfois volatiles, et les circonstances peuvent changer de façon aussi soudaine que spectaculaire. La sensibilité aux conflits implique donc d’intégrer des évaluations d’impact dans les processus de suivi continus, et d’adapter certains aspects de l’investissement aux évolutions du contexte. En travaillant ainsi, de façon réactive, en phase avec le contexte local, les IFD seront à même de renforcer leur capacité à limiter les impacts négatifs et à maximiser les effets vertueux sur la fragilité, la paix et la stabilité.