Deux ans après le début de la pandémie de Covid-19, ses conséquences restent immenses sur le plan économique. Les États ont engagé des sommes considérables pour protéger leurs populations, amortir le choc de la récession et soutenir la reprise. Les dépenses destinées à favoriser le retour de la croissance se poursuivent aujourd’hui. Face à l’ampleur de ces engagements financiers, il convient de s’interroger sur l’avenir que ceux-ci tendent à dessiner. Chaque pays se voit offrir une occasion exceptionnelle de faire en sorte que toute politique de relance soit en cohérence avec un développement résilient au changement climatique, pour réduire à zéro les émissions nettes d’ici 2050. A contrario, l’incapacité à intégrer les principes d’inclusivité, de soutenabilité et de résilience dans les programmes publics de relance menacerait d’aggraver la double crise du climat et des inégalités, dans la mesure où tout investissement dans de nouvelles infrastructures ou entreprises à forte intensité carbone y serait immobilisé pour des décennies. On sait déjà qu’un « investissement vert » substantiel sera requis pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Pour que les dépenses de relance contribuent à la transition écologique, elles doivent aussi être orientées en fonction des éléments probants dont nous disposons sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. L’appui de la communauté internationale de financement du développement est essentiel également pour que les pays à revenu faible ou intermédiaire reçoivent le soutien dont ils ont besoin pour garantir l’inclusivité et le bien- fondé écologique de la démarche et des résultats.
Des plans de relance pour « reconstruire en mieux »
Face à l’épidémie de Covid-19, les plans de redressement mis en place par les gouvernements ont comporté en général deux types de mesures : des programmes de relance budgétaire de l’investissement et des dépenses publiques, ainsi que des politiques d’accompagnement visant à stimuler la production et l’investissement du secteur privé. Les plans de relance budgétaire comprennent à la fois l’investissement en capital (par exemple dans l’énergie, les infrastructures numériques, les prêts aux entreprises, etc.) et les dépenses publiques (notamment dans la santé, la protection sociale ou les programmes de travaux publics). Les politiques destinées à stimuler la production et l’investissement du secteur privé intègrent des mesures comme les allégements fiscaux, l’atténuation des risques et l’utilisation stratégique des marchés publics. Ces deux catégories de mesures ne sont pas strictement séparées et peuvent au contraire se renforcer mutuellement, particulièrement en matière de transition écologique. Les dispositions visant à réformer les subventions aux combustibles fossiles et à augmenter les dépenses en faveur des énergies vertes peuvent ainsi créer des règles du jeu plus équitables pour un investisseur privé dans le domaine des énergies et de la mobilité à faible émission de carbone. De même, la réforme de subventions agricoles à l’efficacité limitée peut servir à stimuler des pratiques résilientes et intelligemment adaptées au changement climatique. Pour les économies fortement dépendantes de leurs exportations de combustibles fossiles, les mesures de relance budgétaire décidées à court terme peuvent permettre de diversifier la production nationale, par l’élimination progressive des actifs les moins compétitifs et l’investissement dans de nouveaux emplois et compétences. Les gouvernements ont démontré leur volonté de dépenser des milliers de milliards pour accompagner la reprise, bien souvent avec l’intention délibérée – mais pas toujours concrétisée – de faire en sorte que ces sommes permettent aux pays concernés de « reconstruire en mieux ».
Les budgets nationaux et la volonté politique n’étant pas illimités, il est cependant essentiel que ces dépenses correspondent à une efficacité démontrée. Dans l’étude « Will Covid-19 fiscal recovery packages accelerate or retard progress on climate change? » publiée en mai 2020, des chercheurs de la Smith School of Enterprise and the Environment (SSEE, Université d'Oxford) emmenés par le professeur Cameron Hepburn ont estimé la valeur potentielle de différents plans de relance budgétaire des pays du G20, en fonction de la capacité de ces programmes à jouer un rôle de multiplicateur économique et à agir efficacement sur l’impact climatique. Les cinq meilleures options de relance, identifiées comme présentant des multiplicateurs économiques élevés et un impact climatique positif, sont les suivantes :
- Investissement dans des infrastructures physiques propres, sous forme d’actifs liés aux énergies renouvelables, au stockage (notamment d’hydrogène) et à la modernisation des réseaux ou encore à l’introduction de réseaux intelligents.
- Investissement dans l’efficacité énergétique des bâtiments, sous l’angle de la rénovation et de l’adaptation, notamment par l’amélioration de l’isolation et des systèmes de chauffage ou de stockage d’énergie domestique.
- Investissement dans l’éducation et la formation, pour faire face à la fois aux conséquences immédiates de la pandémie de Covid-19 sur l’emploi et à des évolutions structurelles plus globales, liées à la décarbonation.
- Investissement dans le capital naturel, pour améliorer la résilience des écosystèmes et restaurer les terres et les habitats naturels dégradés.
- Investissement et soutien au monde agricole, pour accélérer l’adoption d’une agriculture durable, favoriser la régénération des écosystèmes et le déploiement des installations d’énergie propre.
Des capitaux privés pour accélérer la transition écologique
D’une manière générale, les politiques évoquées ci-dessus peuvent s’appliquer à des pays ayant atteint des stades de développement très divers. Les auteurs de l’étude considèrent toutefois que, pour les économies les moins développées, « l’investissement dans la R&D propre », destiné à réduire le coût des nouvelles technologies propres et innovantes, semble plus adapté que le cinquième point évoqué ci-dessus. Il est important de noter que certaines de ces politiques disposent aussi d’un lien direct avec le secteur privé, dont relèvent les fournisseurs, les sources de technologies innovantes et les investisseurs. La puissance publique ne pourra pas financer la transition écologique sans la contribution des capitaux privés, en particulier dans les pays en développement où les besoins sont les plus importants. La pandémie a démontré une nouvelle fois que les nations les plus riches ne peuvent pas se permettre d’ignorer le monde en développement. De la même façon que les mesures européennes de santé publique peuvent se trouver affaiblies par des variants du SARS-CoV apparus dans les pays n’ayant pas accès à la vaccination de masse, des politiques climatiques ambitieuses ne suffiront pas à protéger les nations développées des effets du changement climatique si l’on ne soutient pas les pays en développement dans leurs efforts de réforme de leurs modèles économiques – et ce même si l’on met de côté les raisons morales d’aider ces pays qui subiront plus que proportionnellement les effets du changement climatique, alors qu’ils ont moins contribué à ses causes. Les institutions financières de développement (IFD) constituent un outil efficace pour canaliser ce soutien vers les pays en développement, tout en contribuant à attirer l’investissement privé. Elles ont accompli récemment des progrès significatifs dans l’amélioration de leurs propres capacités à mettre en œuvre l’investissement vert.
En 2020, l'association EDFI a mobilisé 1,4 milliard d'euros en faveur du climat
Les IFD européennes accompagnent la transition écologique des pays en développement de plusieurs façons, notamment par l’apport de financements verts, l’appui technique à leurs clients et une aide en matière de politiques publiques – en même temps qu’elles définissent les priorités dans la mobilisation de l’investissement privé. À titre d’illustration, considérons le cas de l’association European Development Finance Institutions (EDFI). En 2020, année où la pandémie représentait déjà un sérieux obstacle à l’investissement, les quinze membres d’EDFI ont apporté près de 1,4 milliard d’euros de nouveaux financements climatiques (dont environ un tiers pour des projets d’énergies renouvelables), venus grossir un portefeuille global de plus de 10 milliards d’euros de financements pour le climat. Ces engagements ont été facilités par l’adoption d’une définition harmonisée du « financement de l’atténuation du changement climatique » – ce qui rend possibles les comparaisons entre institutions –, ainsi que par les engagements ambitieux récemment annoncés (voir l’encadré ci-après). Ces derniers visent à mettre tout investissement en conformité avec l’Accord de Paris sur le climat et à développer à cet effet des méthodologies communes. Les récents engagements pour le climat des membres d’EDFI comportent aussi la reconnaissance du fait que les IFD doivent accompagner leurs clients dans leur propre transition : une bonne part des quasi 40 millions d’euros déployés en 2020 par les IFD européennes en matière d’accompagnement technique (dont 40 % destinés à l’Afrique) ont servi à soutenir des améliorations en lien avec le changement climatique. Avec un tiers du portefeuille des membres d’EDFI investi en Afrique, 18 % en Amérique latine et dans les Caraïbes et 15 % en Asie du Sud, l’investissement s’oriente vers des pays qui en ont cruellement besoin, de façon à accompagner une transition plus équitable. En tant qu’institutions adossées à des États, les IFD européennes ont démontré leur capacité à investir pour le compte des pays développés, de façon à soutenir une transition écologique et inclusive dans les pays en développement. Elles cherchent aussi de plus en plus à nouer des partenariats avec les pouvoirs publics de ces pays afin de créer les conditions favorables à de tels investissements, qu’ils soient consentis par les IFD elles-mêmes ou par des investisseurs privés. Les membres d’EDFI se sont associés à la Climate Finance Leadership Initiative (CFLI) pour produire, à l’intention des décideurs politiques, un rapport intitulé « Débloquer les financements climatiques privés dans les marchés émergents ». Ce document a précédé la mise en place de « plateformes pays », pilotées par les gouvernements concernés et destinées à favoriser une approche « par le système financier dans son ensemble », afin de répondre aux besoins d’investissement climatique.
Six engagements de l’association EDFI sur les financements climatiques et énergétiques
1/ Les membres d’EDFI aligneront d’ici 2022 les objectifs de tous leurs nouveaux financements sur ceux de l’Accord de Paris et achèveront, au plus tard à l’horizon 2050, la transition de leurs portefeuilles d’investissement vers des émissions de gaz à effet de serre (GES) nulles.
2/ Les EDFI excluront tout nouveau financement du charbon et du fioul, et limiteront le financement des autres combustibles fossiles à des projets répondant à l’Accord de Paris, avant de les exclure totalement au plus tard à l’horizon 2030.
3/ Les EDFI s’appuieront sur leurs expériences en matière de financement climatique et mobiliseront les financements du secteur privé en se fixant individuellement des objectifs ambitieux, sans oublier de rendre public leur degré de réalisation.
4/ Les EDFI investiront de façon stratégique, en soutenant leurs clients pour accompagner l’essor de projets alignés sur l’Accord de Paris, mais aussi pour favoriser la croissance verte, l’adaptation et la résilience climatiques, les alternatives naturelles, l’accès aux énergies vertes et une transition équitable vers l’économie bas carbone.
5/ Les EDFI publieront, en matière de climat, des informations financières répondant aux normes internationales, et adopteront notamment les recommandations de la Task Force on Climate-Related Financial Disclosures (TCFD).
6/ Les EDFI intégreront l’action climatique et la gestion des risques climatiques à tous les niveaux des organisations membres de l’association.
La question climatique exige une réponse mondiale
La CFLI, le gouvernement britannique, la ville de Londres, la Global Infrastructure Facility (GIF), BII et d’autres membres d’EDFI travaillent ensemble, dans le cadre de la CFLI India, à la création d’un réservoir d’opportunités finançables afin de monter en puissance dans les investissements d’infrastructures durables en Inde. Ce dispositif inclut les énergies renouvelables, ainsi que les infrastructures de réseaux et capacités de stockage associées (notamment les bornes de recharge pour les mobilités électriques). Cette faculté d’associer investissement et conseil en politiques publiques, tout en faisant entendre la voix du secteur privé, est propre aux IFD et fait de ces institutions un outil indispensable dans l’effort de soutien à la croissance durable des pays en développement. La pandémie, et les dépenses publiques qu’elle entraîne, constitue une opportunité que la planète ne peut pas se permettre de rater. Les déclarations qui accompagnent ces dépenses témoignent d’une volonté encourageante, celle de faire en sorte que les financements s’orientent vers une reprise vertueuse et durable, notamment en s’appuyant sur le nombre croissant de travaux permettant d’établir l’efficacité des politiques. Parce que le problème climatique ne connaît pas de frontières, il exige en outre une réponse mondiale. Les IFD ont prouvé qu’elles étaient capables d’orienter efficacement les investissements verts, tout en apportant leur expertise en matière de réformes. Elles doivent donc constituer une pierre angulaire du soutien à une transition équitable dans les pays à revenu faible et intermédiaire.