Avec Proparco, l’égalité de genre devient à la mode dans l’industrie textile du Bangladesh

[Reportage photo : © Srishti Bhardwaj / Ofred Studios]
Sept heures du matin dans la banlieue sud de Dhaka, 22 millions d’habitants. Les klaxons bientôt incessants commencent tout juste à s’échauffer, sous le regard encore doux d’un soleil couleur pamplemousse. De longues colonnes bariolées convergent, le plus souvent à pied, vers leur lieu de travail. Les femmes représentent une bonne partie des effectifs.
Plusieurs milliers d’entre elles s’engouffrent dans les locaux d’Ananta, qui attend l’ouverture imminente de son troisième bâtiment pour atteindre les 5 000 salariés, dont 2 000 femmes. Sur ce seul plateau à la propreté chirurgicale dédié à la couture et au contrôle qualité, ce sont 900 personnes, des ouvrières surtout, qui œuvrent sur 690 machines. De vastes bassines bleues disposées au bord d’allées rutilantes accueillent l’unique spécialité d’Ananta : les pulls moyen et haut de gamme, « petits hauts » et assimilés, qui iront rejoindre les étals des boutiques européennes.
Ananta est capable de produire, empaqueter et faire livrer depuis l’immense port du sud du pays vers les boutiques européennes n’importe quelle commande passée 90 jours avant. Et ce, avec des volumes gigantesques : « Nous pouvons fabriquer jusqu’à 45 000 pièces par jour ici », avance ainsi sans ciller Niffari Nissar, le PDG de la société Ananta Huaxiang Limited (AHL).
Bientôt viendra l’heure du déjeuner, subventionné par un employeur connu pour offrir de meilleures conditions de travail et des salaires plus élevés que la moyenne du secteur. Une démarche bienvenue, en particulier pour les femmes du site : dans le textile, elles doivent souvent composer avec de très longues heures de travail ou une faible rémunération. Plus grave, selon une étude de l’ONG ActionAid international, 80 % des ouvrières du textile au Bangladesh ont été confronté à des violences sexuelles ou du harcèlement sur leur lieu de travail.
C’est dans ce contexte de politique volontariste de l’entreprise en termes de droits des salariées qu’un financement de Proparco s’est concrétisé en décembre 2021, l’égalité de genre étant par ailleurs l’une des trois priorités stratégiques de Proparco. Pour renforcer cet objectif, le prêt senior de 13,8 millions de dollars accordé à Ananta sur une durée totale de dix ans a été complété par une assistance technique singulière, à hauteur de 16 000 dollars : la mise en œuvre du programme HERhealth, avec l’appui de la société de conseil Business for Social Responsibility (BSR) pour le contenu et de l’ONG locale Change Associates pour l’implantation au sein de l’entreprise. Ce programme, désormais intégré dans l’initiative RISE, a été suivi par 1 112 Femmes salariées de l'usine entre juin 2022 et septembre 2023.
RISE a pour objectif d’appuyer l’émancipation des femmes aux faibles revenus travaillant dans les chaînes d'approvisionnement mondiales via différentes initiatives lancées sur le lieu de travail. Pour Ananta, il s’agissait avec HERhealth d’agir sur l’égalité de genre via un programme centré sur la santé des employées. Grâce, principalement, à la sensibilisation et la formation des employées via le relais de 56 éducatrices de référence choisies dans leurs rangs, les « peer educators ».
Les actions éducatives menées ont couvert de nombreux besoins identifiés en amont auprès des femmes salariées du secteur textile au Bangladesh (voir notre encadré pour plus de détails) : hygiène personnelle et menstruelle, planning familial et santé maternelle, dépistage des maladies (VIH, cancer), éducation à la santé, à une alimentation saine, amélioration des structures de santé sur le lieu de travail, répartition des tâches dans la vie familiale, etc.
Des accomplissements qui s’inscrivent dans l'engagement d'Ananta envers les femmes visant à générer un impact positif sur la qualité de vie des ouvrières les plus vulnérables, mais aussi sur la durabilité des apprentissages proposés. Ces enseignements sont prévus pour perdurer sur le long terme, bien après le seul temps d’application du programme. Car des salariées dont la santé, le statut et la vie quotidienne s’améliore, c’est moins d’absentéisme, moins de turn-over, des employées en meilleure santé, mieux formées, plus confiantes, moins sujettes aux accidents du travail et, in fine, un bénéfice global évident pour l’employeur.
Depuis son studio impeccablement tenu, où elle vit avec son frère de douze ans, sa fille de trois ans et son mari, lui aussi ouvrier chez Ananta, Momena Akter est intarissable sur les bienfaits de HERhealth :
« Grâce à ce programme, je connais maintenant l’importance des serviettes hygiéniques, et la meilleure manière de les utiliser. Je n’étais jamais allée chez le médecin ; je n’osais pas et je croyais que c’était trop cher, alors je me contentais de la pharmacie.
J’ai également appris les bonnes pratiques quand on est enceinte. Je sais qu’il faut aller à l’hôpital pour les accouchements, plutôt que de rester à la maison. D’ailleurs, à la maison maintenant tout le monde se lave les mains régulièrement, et nous buvons de l’eau purifiée. Les effets sur notre santé ont été immédiats, avec notamment une très forte diminution des diarrhées.
À l’usine, en tant qu’éducatrice de référence pour HERhealth, j’ai pu former à mon tour environ 60 personnes, des femmes surtout, mais aussi des hommes. Comme moi, je sais qu’ils ont transmis ces savoirs dans leur famille. Ce sont des enseignements très importants qui nous servirons pour le reste de notre vie. »
Fruits frais et douceurs sucrées à destination des visiteurs du jour s’accumulent sur le lit posé dans le salon du confortable quatre pièces de Kaniz Fatema. La jeune femme y vit avec son frère, sa sœur, sa mère et son mari.
« Dès que j’ai su que nous pourrions bénéficier du programme HERhealth, j’ai été impatiente de commencer, sourit Kaniz. J’ai appris que la routine d’un petit-déjeuner complet était très importante. À l’usine, nous embauchons à 7h30 du matin, pour 8 heures de travail, et même jusqu’à 5 heures supplémentaires - payées doubles - en période de forte activité. Alors, avant, nous étions nombreuses à nous sentir mal au cours de la journée avec des maux de tête, de ventre et une faiblesse générale dus au manque d’alimentation le matin.
Depuis HERhealth, il y a moins d’arrêts maladie et on travaille mieux. Dans la famille, nous avons aussi ajouté des légumes à notre alimentation, ce qui n’était pas du tout le cas avant.
Beaucoup de travailleuses et de travailleurs qui n’avaient pas été formés sont venus me voir spontanément, y compris des supérieurs hiérarchiques, pour en savoir plus. Des hommes sont venus me demander des conseils sur les serviettes hygiéniques pour leurs femmes ou leurs soeurs. »
Dans les travées d’Ananta, Rita est une ouvrière respectée : malgré son jeune âge, elle supervise 14 personnes. Pour elle, HERhealth c’est d’abord l’histoire d’une vie sauvée :
« À cause d’une mauvaise hygiène menstruelle, une collègue était malade, de plus en plus épuisée. Or, au cours de la formation HERhealth, j’ai appris à reconnaître certains signes qui pouvaient induire un cancer. Et ces symptômes ressemblaient beaucoup à ceux de ma collègue.
Je lui ai dit d’aller voir notre docteure. Les examens ont effectivement révélé un cancer du col de l’utérus, heureusement à un stade peu avancé. Après un traitement médical efficace, ma collègue est aujourd’hui complètement guérie.
Je suis très heureuse d’avoir pu aider cette femme. J’ai aussi appris beaucoup d’autres choses que j’ai transmises à mes collègues, ma famille et mes proches. Comme par exemple l’importance d’une nutrition équilibrée, ou le fait de faire des exercices physiques spécifiques pour préserver notre dos. »
Installée dans un bâtiment facilement accessible et visible de tous, juste à gauche de l’entrée du bâtiment principal de l’usine, la docteure du site constate une véritable différence entre l’avant et l’après HERhealth :
« Oui, je vois clairement plus de patientes aujourd’hui qu’avant la formation. Elles osent venir, ça fait toute la différence.
Je peux constater qu’elles sont très bien éduquées sur des questions essentielles comme la contraception, l’importance des vaccins, la prévention des maladies, l’hygiène menstruelle et générale, la qualité de l’eau, la nutrition, etc.
HERhealth nous a aussi donné plus de moyens. Désormais, un personnel médical est présent sur site 24 heures sur 24, car en haute saison des équipes travaillent de nuit ici.
En plus de l’ambulance déjà disponible et du centre hospitalier tout proche, nous disposons aussi de la présence de deux infirmières, contre une seule auparavant. »
À la tête d’un paquebot de bientôt 5 000 salariés, dont 40 % de femmes, le patron d'Ananta Niffari Nissar occupe un simple bureau vitré au rez-de-chaussée du bâtiment d’Ananta. Originaire du Sri Lanka, cet entrepreneur avisé a vite compris l’intérêt de prendre soin de ses employés, et plus particulièrement des ouvrières pour lesquelles les besoins étaient plus importants.
« Notre partenariat avec Proparco, RISE et Change Associates est très positif pour tout le monde. Des salariées en meilleure santé, mieux éduquées, plus heureuses au travail et dans leur quotidien, c’est avant tout très satisfaisant en soi. Mais cela signifie aussi du travail bien fait, moins d’absentéisme, moins de turnover et de temps de formation pour les remplacements.
Un autre aspect très important souvent négligé, c’est l’importance des relations entre les gens. Quand vous faites partie de ce qui peut être comparé à une petite ville, parvenir à des relations interpersonnelles cordiales, basées sur plus d’égalité et de respects entre collègues, c’est capital.
Et puis, le fait de responsabiliser des éducatrices de référence – il y en a eu 56 pour diffuser HERhealth dans l’entreprise - fait aussi ressortir des talents. Des personnalités se sont révélées avec ce programme. »
Les impacts générés par RISE-HERhealth :
Les impacts générés par le plan E&S :
La mise en place du programme RISE-HERhealth via l’assistance technique a été le déclencheur de la qualification au « 2X Challenge » par Proparco.
Si le projet n'était pas initialement éligible, Ananta a travaillé activement avec Proparco pour obtenir cette qualification. L'investissement dans Ananta répondait ainsi au critère 3 du label (Emploi) sur la base du nombre de femmes employées, soit 40 % des effectifs de l’usine.
La mise en œuvre de HERhealth témoignait par ailleurs d’un fort engagement qualitatif dans l’amélioration des conditions du travail des femmes. En sus des impacts décrits dans notre article, le partenariat de Proparco avec Ananta contribue également à la création de 2 400 emplois permanents, dans un secteur traditionnellement saisonnier.