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Agriculture Afrique Madagascar
En 2022, le rapport mondial sur les crises alimentaires estime qu’au moins un Africain sur cinq se couche le ventre vide, et que 140 millions de personnes en Afrique sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë. La Corne de l’Afrique, en particulier, souffre à nouveau d’une sécheresse tenace. Les pays qui dépendent des importations de blé et d’huile de tournesol subissent l’escalade des prix entraînée par la guerre en Ukraine. Les inégalités de genre viennent aggraver les problèmes – les femmes étant exclues de bien des activités économiques.

De nombreux investissements de Finnfund dans l’agriculture comptent de petits exploitants dans leurs chaînes d’approvisionnement – qui interviennent selon des modalités contractuelles très variables. L’accès aux marchés de ces petits exploitants et la sécurité alimentaire sont des impacts de développement clés pour ces investissements.

D’une façon générale, en Afrique, les petites exploitations agricoles peinent à accéder à des intrants, des semences et des fertilisants de qualité, ainsi qu’à des méthodes agricoles modernes. Elles sont en outre confrontées à des difficultés d’accès au marché. Finnfund cherche à mieux comprendre les modalités d’engagement des entreprises agricoles auprès des petits exploitants : quels sont les bénéfices, risques et obstacles inhérents à ces relations, et quels sont les effets de l’agriculture contractuelle sur la sécurité alimentaire ? Il s’agit aussi de recueillir les meilleures pratiques permettant de répondre aux problèmes qui pourraient perturber ces relations. En effet, l’augmentation de la production alimentaire n’entraîne pas automatiquement la sécurité alimentaire, l’investissement dans des cultures de rente destinées à l’exportation pouvant même la réduire. En outre, s’approvisionner auprès de petites exploitations en achetant leurs récoltes n’est pas toujours sans risque pour les entreprises.

Les principales idées et les meilleures pratiques présentées ci-dessous sont tirées d’une recherche universitaire récente intitulée : « Smallholder incorporation in commercial value chains through agricultural traders and local food security », 2022 (avec E2 Research).

 

RISQUES ET AVANTAGES POUR LES AGRICULTEURS

Pour les petits exploitants, prendre part à l’agriculture contractuelle est une chance d’améliorer leurs moyens de subsistance et de réduire certains risques – par exemple, de fluctuation des prix. L’urbanisation galopante induit la multiplication des commerces de détail, qui exigent des flux réguliers de matières premières de qualité – pour cela, il faut une coordination verticale entre les producteurs et les marchés. L’agriculture contractuelle peut aussi offrir aux exploitants un meilleur accès aux intrants agricoles et aux prestations de conseil.

Alors que l’augmentation des revenus générés par l’agriculture contractuelle peut mener à une plus grande sécurité alimentaire et une meilleure diversité nutritionnelle – les ménages ayant les moyens d’acheter d’autres produits sur le marché –, il n’y a pas d’automatisme en la matière. La famille concernée pourra en effet donner la priorité à d’autres dépenses, comme les frais de scolarité ou les intrants agricoles ; par ailleurs, la diversité des denrées sur le marché local peut s’avérer limitée. Il existe aussi une tendance à favoriser les agriculteurs sous contrat disposant de terres plus vastes, équipées pour l’irrigation. Côté risques, réduire la diversité des récoltes en allant vers la monoculture peut entraîner une perte de fertilité des terres et de biodiversité, d’où une exposition accrue aux phytoravageurs et aux chocs de prix.

 

SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET RELATIONS DE GENRE

L’accès des femmes aux ressources productives que sont la terre ou les financements est traditionnellement plus limité que celui des hommes, comme l’est aussi leur pouvoir de décision à l’échelle du ménage et de la communauté. L’agriculture contractuelle peut permettre aux femmes de s’autonomiser, en leur donnant les moyens de prendre part au système et d’accéder à l’indépendance financière, augmentant de ce fait leur pouvoir de négociation au sein du foyer. Toutefois, pour y parvenir, une sensibilisation reste nécessaire.

À l’inverse, l’agriculture contractuelle pourrait fort bien renforcer les stéréotypes de genre qui existent dans la conduite de l’activité agricole. Elle peut aussi avoir des effets négatifs sur les équilibres de genre en cas de remplacement des cultures vivrières traditionnelles par des cultures de rente.

Sécurité alimentaire - Propriété foncière - Genre

 

 

RISQUES ET AVANTAGES EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ ALIMENTAIRE AU NIVEAU LOCAL

Les changements intervenant dans la production agricole locale ont nécessairement des effets sur la sécurité alimentaire. Tous les membres de la communauté ne bénéficieront pas des effets de l’agriculture commerciale contractuelle, d’où un risque de voir s’accroître les inégalités. En outre, la disponibilité et la diversité des aliments que l’on peut se procurer localement sont susceptibles de se réduire lorsqu’une partie des terres sont consacrées à la culture de rente, tandis que les fluctuations des prix alimentaires peuvent être amplifiées.

Même en ne participant pas directement, en tant qu’exploitant, à l’agriculture contractuelle, il est toutefois possible d’en tirer des avantages, grâce aux nouvelles offres d’emploi, au développement des infrastructures, et aux démarches de responsabilité sociale des entreprises (RSE) mises en place par les entreprises impliquées. Le développement des organisations paysannes peut aussi contribuer localement au renforcement des capacités et à la cohésion sociale.

Les contextes dans lesquels s’inscrit l’agriculture contractuelle des petites exploitations sont extrêmement divers : il n’existe donc pas de solution unique qui résoudrait tous les défis liés aux partenariats impliquant de petits agriculteurs. Pour autant, l’étude mentionnée aboutit à d’importantes conclusions, qui peuvent aider à réduire les risques que posent ces accords, tant du point de vue de l’agriculteur que de l’entreprise contractante. Il s’agit notamment de tenir compte de l’héritage historique et institutionnel qui a façonné la situation locale, de professionnaliser la gestion des relations contractuelles pour renforcer la confiance réciproque et adopter une démarche axée sur le marché.

 

 
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Les principes d’un partenariat vertueux au Kenya

L’entreprise kényane Kentegra Biotechnology s’approvisionne principalement auprès de petits agriculteurs pour produire un extrait raffiné et clarifié de fleur de pyrèthre. Le partenariat qu’elle a mis en place vise à instaurer la confiance entre les parties prenantes, par la transparence et le traitement équitable des producteurs. En un an, il a permis de tripler le nombre des exploitants sous contrat, qui est passé d’environ 7 000 à plus de 20 000. Les principes du modèle sont les suivants :

  • Processus transparent dans l’examen préalable et la sélection des agriculteurs, ainsi que pour la présentation du modèle.
  • Approche centrée sur le marché, fondée sur les cultures traditionnelles et la forte hausse de la demande.
  • Partenariat à long-terme, développement durable et capacité de mise à l’échelle.
  • Viabilité, pour l’entreprise comme pour l’agriculteur. Le revenu des exploitants peut être multiplié par un facteur pouvant aller jusqu’à 8 par rapport aux autres cultures de rente produites.
  • Intrants fournis, de même que l’analyse des sols.
  • Formation des agriculteurs, pour améliorer la performance et la qualité du produit.
  • Atténuation des risques, avec des cultures résistantes à la sécheresse et des méthodes d’agriculture régénératrice. Les mécanismes de fixation des prix et de paiement garantissent la stabilité des prix et la rapidité de règlement.
  • Relations contractuelles professionnellement encadrées, et confiance mutuelle s’appuyant sur un contrat solide. Des « Chargés de relations avec les exploitants » entretiennent le dialogue avec les associations d’agriculteurs.
  • Prise en compte de l’intérêt des agriculteurs lors de réunions collégiales, d’où est issue par exemple la Savings and Credit Cooperative Organisation (SACCO), une organisation coopérative de crédit et d’épargne.

En matière de sécurité alimentaire, le modèle a été un véritable succès. Les agriculteurs perçoivent un revenu plus élevé et plus stable, qui leur permet de financer les frais de scolarité de leurs enfants et d’acheter de plus grandes quantités de nourriture. Ceux qui possèdent de petites parcelles – beaucoup font à peine 2 000 m² – sont également éligibles. Actuellement, 50 % de ces agriculteurs sont des agricultrices, mais l’objectif est d’atteindre 55 % d’ici 2027. Pour garantir la sécurité alimentaire des ménages, Kentegra recommande en outre à ses exploitants de diversifier leur production et de réserver un espace à l’agriculture vivrière.

 
Anne Valto

Anne Valto

Conseillère principale en impact sur le développement
Finnfund

Parcours

Anne Valto est conseillère principale en impact sur le développement de Finnfund. Elle intervient depuis plus de 20 ans dans le secteur de la coopération et du développement. Dans ses fonctions actuelles, Anne Valto est spécialisée dans les secteurs forestier et agricole, l’adaptation au changement climatique, la biodiversité et les questions de genre. Elle travaille avant tout à établir des synergies entre les secteurs public et privé, la société civile et les communautés locales, tout en s’attachant à comprendre toutes les implications et les conséquences du financement du développement.

Finnfund

Finnfund est une institution de financement du développement finlandaise à retombées sociales. Elle cherche à construire un monde durable et à avoir un impact à long terme, en investissant dans des entreprises qui relèvent les défis du développement dans les pays du Sud. Chaque année, Finnfund investit 200 à 250 millions d’euros dans une vingtaine ou une trentaine de projets, mettant plus particulièrement l’accent sur les énergies renouvelables, la sylviculture et l’agriculture durables, et en soutenant les institutions financières ou les infrastructures numériques. Actuellement, ses engagements et ses investissements représentent un montant d’environ 1,22 milliard d’euros, dont la moitié en Afrique. Finnfund emploie une centaine de personnes, à Helsinki et à Nairobi.

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