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Fonds propres pour le passage à l’échelle : entretien avec deux PME soutenues
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Secteur Privé & Développement #32 -Financement des PME en Afrique : quoi de neuf ?
10 ans après avoir consacré son premier numéro au financement et à l’accompagnement des PME en Afrique, la revue Secteur Privé & Développement fait le point sur cet enjeu majeur pour le développement du continent.
Nous l’avons répété à plusieurs reprises dans cette revue, et les différents articles l’ont démontré, l’accès au financement est l’un des principaux enjeux du développement des PME en Afrique, mais aussi l’un des principaux freins. Pour mettre cela en lumière, nous avons interrogé deux entrepreneurs afin de recueillir leur témoignage de terrain et nous éclairer sur leurs difficultés, ou succès, dans leur recherche de financements.
PROPARCO : LES DIFFÉRENTES PHASES DE DÉVELOPPEMENT DE VOTRE ENTREPRISE ONT NÉCESSAIREMENT NÉCESSITÉ UN BESOIN DE FINANCEMENTS. QUELLES ONT ÉTÉ LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES OU LES AIDES QUI VOUS ONT PERMIS D’Y ACCÉDER
Habib Hassim : Technopet et Food & Beverage sont les entreprises qui ont eu le plus besoin de recourir à du financement externe, car gourmandes en capital et fonds de roulement (BFR). Elles ont été lancées dans un contexte de crise politico-économique à Madagascar et de frilosité extrême des banques : impossible de faire appel à du financement externe, surtout s’agissant de projets « greenfield ». L’investissement de départ, le BFR ainsi que les différents projets d’expansion sur les quatre premières années ont donc été autofinancés par les actionnaires. Une fois la crise passée, nous avons entamé des discussions avec les banques commerciales locales en vue de financer nos développements. Nous avons vite compris que leur approche était plutôt patrimoniale que basée sur le « cash-flow ». Autrement dit : pas de prise en compte des perspectives économiques mais une unique volonté de dé-risquer les engagements via une surcollatéralisation des actifs, à un coût élevé. Face à cet obstacle, nous avons recouru à plusieurs dispositifs locaux : l’ouverture du capital sur une période donnée et la mise en oeuvre d’un prêt d’actionnaire par Fiaro1 ; le déploiement d’une garantie externe via Solidis2. Ces outils ont partiellement répondu aux besoins car les tickets restaient faibles et le coût total du financement était trop élevé pour être soutenable dans le temps. Dès 2016, nos besoins ont évolué et nous avons souhaité faire grandir chaque entreprise, en s’ouvrant notamment sur la région. Cela passait par un investissement conséquent, ainsi qu’une mise à niveau structurelle et organisationnelle. En 2017, nous avons entamé un processus de levée de dette transfrontalière, entre les juridictions de Madagascar et Maurice. Ce processus fut long et formateur, c’était une grande première pour nous comme pour l’établissement bancaire impliqué. Cela aura pris deux ans, mais nous avons démontré notre capacité à monter des dossiers bancaires lourds avec une forte dose d’ « engineering » financier et légal. Fin 2018, pour consolider notre position et concrétiser l’évolution de notre gouvernance, nous avons fait entrer un fonds de private equity au sein de Technopet, dont le « closing » vient de se faire. Cet investissement a pour but d’augmenter notre capacité, d’accompagner la certification ISO et BRC/FDA, ainsi que de rayonner dans l’océan Indien. Inside Capital Partners, basé à l’Île Maurice, nous a fait confiance et nous accompagne dans notre développement. Cette arrivée d’un actionnaire de référence conforte l’ensemble des parties prenantes autour du projet, qu’elles soient bancaires ou institutionnelles, ou bien nos principaux fournisseurs et clients.
Jean-Philippe Bigot : La création de notre filiale au Kenya, en 2002, nous a permis de consolider et de développer nos positions en France, et d’implanter une unité de production conséquente au Kenya pour accéder à d’autres marchés porteurs – au Royaume Uni, en Allemagne et en Suisse. Avant la création de cette filiale, nous employions moins de 50 personnes en France. Aujourd’hui, le Groupe y compte 150 salariés et près de 1 100 au Kenya. Entre 2002 et 2008, Bigot Flowers Kenya n’étant pas propriétaire du foncier, elle n’a pas pu lever de fonds au Kenya pour assurer son développement et a donc dû investir avec ses propres deniers. En 2008, nous avons été mis en relation avec l’AFD et Proparco, et avons pu obtenir un concours de près de 1,7 million d’euros en 2010, via Fisea. Cela nous a permis d’acquérir le foncier dont nous avions besoin au Kenya et de construire de nouvelles serres plus modernes. Parallèlement, Fisea a pris une participation de 10 % dans la Holding Bigot Finances. Fin 2013, une opportunité de croissance externe s’est offerte à nous. Nous avons alors eu à nouveau recours à un financement de Proparco et avons en parallèle racheté la participation de Fisea dans la Holding Bigot Finances.
RÉTROSPECTIVEMENT, FERIEZ-VOUS LES CHOSES DIFFÉREMMENT ?
Jean-Philippe Bigot : Sans ces différents prêts de Proparco, nous n’aurions jamais été capables de structurer l’aspect patrimonial de notre entreprise à l’étranger, ni d’asseoir notre position dans le paysage de la production et de la distribution de fleurs coupées, aussi bien en France qu’en Europe. Être acteur du développement de territoires ruraux, tant dans notre fief historique de la Sarthe qu’au Kenya, est une tâche très prenante mais également très gratifiante. En ce sens, notre engagement en faveur du commerce équitable prend toute sa dimension et constitue un très fort moteur de notre implication au service de la population kenyane.
Habib Hassim : Dans les pays émergents, la tendance est souvent de reléguer la conformité au second rang et d’optimiser la rentabilité des entreprises, notamment familiales. Beaucoup d’entreprises à Madagascar utilisent un savant mélange de fraude et de corruption et connaissent des taux de croissance et de marge anormalement élevés : ce n’est ni durable ni éthique. Notre principe a toujours été d’être à 100 % transparents et respectueux des lois sur un plan fiscal (TVA, douanes, impôts, salariés déclarés), mais on avance moins vite quand on est éthique. Rétrospectivement, nous aurions sans doute dû mettre en avant et revendiquer cette éthique. Il en va de l’intégrité, de la crédibilité et de la légitimité que nous accordent nos partenaires. Depuis que nous sommes en mesure de communiquer une situation financière claire et transparente à nos partenaires, le dialogue est plus constructif et ces derniers s’inscrivent dans une logique d’accompagnement sur le long terme. Ce fut un travail de longue haleine, voire un changement de paradigme, mais nous en sommes autant soulagés que fiers.
1 Fonds d’investissement institutionnel local.
2 Établissement de garantie bancaire soutenu par le Groupe AFD via le mécanisme de garantie ARIZ.
3 Fonds d’Investissement et de Soutien aux Entreprises en Afrique.