Le coût réel de l’alimentation humaine est extrêmement élevé. Le comité scientifique du Sommet des Nations unies sur l’alimentation estimait ainsi en 2021 que le coût annuel des systèmes alimentaires en termes d’environnement, de santé publique et d’impacts économiques avoisinait les 29 000 milliards de dollars par an, alors que la valeur économique des denrées vendues à prix de marché s’élevait à 9 000 milliards de dollars par an. Le système alimentaire mondial contribue à plus de 33 % des émissions de gaz à effet de serre, l’agriculture étant en outre la première cause du recul de la biodiversité. Près de 10 % de la population mondiale souffre de la faim ou de sous-nutrition et les maladies liées à l’alimentation constituent un défi majeur du XIXe siècle.
Le montant qu’il faut investir pour rendre les systèmes alimentaires pérennes et résilients au changement climatique est estimé entre 300 et 350 milliards de dollars par an. Ces investissements pourraient déboucher sur de nouvelles opportunités commerciales pouvant représenter jusqu’à 4 500 milliards de dollars par an d’ici 2030. Dans son rapport intitulé Mobilizing Money and Movements, TIFS propose des exemples d’entreprises qui incarnent le mieux l’idéal que porte son réseau stratégique.
AU CENTRE, UN CHAÎNON MANQUANT
Les entreprises innovantes évoquées dans ce rapport sont souvent perçues par les investisseurs institutionnels comme trop petites ou trop risquées. Cette décorrélation entre le capital disponible pour des entreprises qui ont le pouvoir de transformer le système alimentaire et la visibilité en matière d’opportunités pour les investisseurs nécessite, de la part des gouvernements, des interventions soigneusement préparées.
TIFS se concentre aujourd’hui en priorité sur ce « chaînon manquant », qui fait défaut en matière d’investissement dans les systèmes alimentaires, c’est-à-dire sur les décalages qui rendent difficile la mobilisation des capitaux financiers nécessaires à la transformation des systèmes alimentaires.
Cette question concerne en premier lieu les marchés financiers. Les marchés d’actions mondiaux allouent des capitaux, qui génèrent indirectement des externalités positives autant que négatives. En appliquant des méthodes destinées à réduire les externalités négatives (en particulier en compensant le risque et en le redéfinissant), il est possible d’améliorer l’accès au capital des entreprises qui génèrent des externalités positives. Il faut pour cela créer des précédents financiers, des exemples qui permettent de revoir les définitions de risque, de rémunération du risque, d’efficience et d’échelle, afin d’aller vers davantage de sécurité alimentaire, de biodiversité et de résilience climatique.
Par ailleurs, les PME ayant opté pour des principes de régénération et d’agroécologie ont souvent besoin de financements plus souples (notamment des garanties de prêts ou autres formes de sûretés, et des financements mixtes, mieux adaptés à leur petite échelle). Les allocateurs de capitaux peuvent les aider à en disposer alors que les bailleurs de fonds ne subventionnent pas sur la base de la pertinence commerciale et que les investisseurs se montrent réticents à l’égard de modèles inhabituels. Les besoins d’investissement de ces entreprises sociales et écologiques peuvent en outre s’avérer trop faibles pour les grands investisseurs. Il faut donc mieux calibrer la tarification du risque.
DONNÉES DES SYSTÈMES, ÉVALUATION DU RISQUE ET VÉRIFICATION DES IMPACTS
Les outils de mesure et d’évaluation des systèmes alimentaires mondiaux sont principalement axés sur des paramètres de rendement et d’échelle. Pourtant, pour atteindre les ODD, il est nécessaire d’avoir des données probantes. La finance et les technologies agricoles doivent donc produire des données qui identifient et évaluent les risques financiers et systémiques. Les outils de System Investing Assessment mis au point par TIFS sont conçus pour l’analyse des fonds destinés à faire progresser les systèmes, et pour permettre d’appliquer les standards en cours de développement.
Les politiques nationales et régionales en vigueur favorisent généralement les grands acteurs en place du système alimentaire. Dans le même temps, les entreprises qui « font bouger le système » sont perçues comme présentant un risque plus élevé. Des mesures politiques et incitatives (subventions gouvernementales, garantie des prêts, first-loss capital, et « services d’accélération », notamment) peuvent servir à dérisquer l’innovation, afin de rétablir des règles du jeu équitables en matière de financement et, par là-même, de débloquer l’investissement privé.
La Global Alliance for the Future of Food travaille avec des philanthropes à la création d’une plateforme mondiale à même d’accélérer le financement de la transition agroécologique et régénératrice. Par ses efforts en matière de développement sur le terrain, TIFS épaule cette initiative en bâtissant des communautés régionales d’innovateurs financiers orientés vers la recherche de solutions. Pour parvenir à un système alimentaire sain, résilient, équitable, renouvelable, diversifié et inclusif, il est indispensable de prendre en compte les impacts environnementaux, sociaux et sanitaires. Les opportunités d’investissement dans les systèmes alimentaires durables favorisent des formes d’agriculture écologiquement bénéfiques, une alimentation saine, ainsi que des communautés et des moyens de subsistance résilients.